L’assaillant d’Annecy était-il en situation irrégulière en France, comme l’affirme Marine Le Pen ?


L’assaillant d’Annecy était-il en situation irrégulière en France, comme l’affirme Marine Le Pen ?

Publié le mercredi 14 juin 2023 à 16:50

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La présidente du groupe RN à l'Assemblée nationale, Marine Le Pen, à Paris le 7 juin 2023.

(Ludovic Marin / AFP )

Auteur(s)

Anaïs Condomines

La présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale assure que l’homme à l’origine de l’attaque au couteau survenue jeudi 8 juin en Haute-Savoie n’était pas en situation régulière et aurait dû quitter le territoire en janvier. Une déclaration s’appuyant sur des articles de presse, et plusieurs confusions.

Le temps des polémiques n’aura pas tardé. Dès le 9 juin, au lendemain de l’attaque à Annecy, où un homme d’origine syrienne, initialement réfugié en Suède, a attaqué six personnes dont quatre enfants en bas âge, Marine Le Pen déclarait sur Europe 1 : «Il est évident qu’il y a eu des défaillances.» Au sujet du parcours migratoire d’Abdelmasih H., 31 ans, la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale précise : «Cet individu aurait dû être dubliné dès sa demande d’asile en France ; il aurait dû faire l’objet d’une procédure accélérée en quinze jours qui fait qu’on constate immédiatement qu’il a déjà le droit d’asile dans un autre pays de l’Union européenne et il est renvoyé dans ce pays. Cela n’a pas été le cas. Il y a eu de longs mois entre le moment où il a déposé sa demande et le moment où il a reçu l’avis de refus de cette demande d’asile.» Elle poursuit : «On nous dit qu’il était en situation régulière. C’est faux puisque en réalité il aurait dû avoir un titre de voyage pour réfugiés, pour pouvoir venir en France, délivré par la Suède. Est-ce qu’il l’avait, est-ce qu’il ne l’avait pas ? Quoi qu’il en soit, de toute façon, il n’avait plus le droit d’être présent sur le territoire, donc il aurait dû repartir au mois de janvier.»

Un argumentaire qui reprend point par point ce qui est déroulé dans un article du Figaro, publié la veille. Qui indique donc lui aussi d’une part que, pour voyager en France, l’assaillant aurait dû être muni d’un titre de voyage et que par ailleurs, son séjour ne pouvait excéder un délai de trois mois à compter de novembre 2022. Et d’autre part que sa demande d’asile aurait dû faire l’objet d’une procédure accélérée en France, en raison de la protection déjà accordée à son endroit en Suède.

On sait de l’assaillant qu’il a fui la Syrie en 2011, direction la Turquie, où il a rencontré celle qui deviendra son épouse, elle aussi syrienne. En 2013, ils s’installent en Suède. Là, Abdelmasih H. obtient la protection subsidiaire (une forme de protection attribuée à un étranger qui ne remplit pas les conditions d’obtention du statut de réfugié et prouve qu’il est exposé dans son pays à des risques de mort, de torture, de menace grave résultant d’un conflit armé) – ainsi qu’un permis de séjour permanent (permanent uppehallstillstand), confirme l’office des migrations suédois à CheckNews. En outre, les autorités suédoises nous indiquent qu’à plusieurs reprises ensuite, à partir de 2017, l’homme s’est vu refuser la nationalité suédoise. D’après son épouse, c’est d’ailleurs la raison qui l’a poussé à quitter le pays. Il a donc rejoint la France le 26 octobre 2022 où il a déposé, quelques jours après, en novembre, une nouvelle demande d’asile. D’après les autorités françaises, sur son chemin, il a fait étape en Suisse et en Italie, où il a également formulé des demandes d’asile. Côté France, sa demande a été rejetée pour irrecevabilité le 26 avril par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), mais uniquement notifiée à l’intéressé le 4 juin.

Pouvait-il voyager dans l’Union Européenne ?

Le professeur en droit public Serge Slama a réagi aux affirmations du Figaro. Concernant le débat sur le titre de voyage, il indique qu’un «protégé subsidiaire a le droit à un document de voyage se substituant à son passeport». Ce titre de voyage, d’une durée de cinq ans, est soumis à une taxe de 45 euros. «Son obtention relève d’une simple formalité car le droit autorise la délivrance de ce titre», indique à CheckNews Tania Racho, docteure en droit européen et membre de l’association Désinfox-Migrations. Mais dans le cas précis d’Abdelmasih H., Serge Slama affirme qu’il s’agit là d’un «non débat», la carte de séjour qu’il a obtenue en Suède lui permettant de passer les frontières au sein de l’espace Schengen. Le journal officiel de l’Union européenne liste en effet la permanent uppehallstillstand suédoise parmi les titres de séjour concernés par le «code frontières Schengen».

Cela étant dit, il est vrai que ce séjour ne peut permettre aux réfugiés de s’installer durablement ou de travailler. Au total, il ne peut rester sur le territoire au-delà de 90 jours. En tenant compte d’une arrivée fin octobre en France, cela donne un départ au maximum à la fin du mois de janvier. Mais, entretemps, en novembre 2022, le trentenaire a déposé une demande d’asile en France. Ce qui, de fait, remet les compteurs à zéro – ce que ne précise pas Marine Le Pen. En effet, cette demande lui ouvre un «droit au maintien» sur le territoire pendant l’examen de la demande. L’Intérieur, auprès de CheckNews, confirme ainsi : «Dès lors qu’il a déposé une demande d’asile en France dans les jours qui ont suivi [son arrivée] en novembre 2022, il a bénéficié du statut de demandeur d’asile. A ce moment-là, la délivrance d’un titre qui lui aurait permis de se maintenir sur notre sol est sans objet, puisqu’il était demandeur d’asile.» Dans un tweet, la porte-parole de l’Intérieur précise encore que «le débat sur les 90 jours est ici sans objet».

Aurait-il dû faire l’objet d’une procédure accélérée ?

C’est l’argument phare de Marine Le Pen : l’examen, par l’Ofpra, de la situation de l’assaillant, aurait dû être réglé «sous quinze jours», sous procédure accélérée. «C’est faux», commente encore Serge Slama. Selon le spécialiste, le dossier d’Abdelmasih H. ne rentre pas dans les critères imposant une procédure accélérée. Ces critères sont résumés à l’article L531-24 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda). Le premier paragraphe implique par exemple que le demandeur doit venir «d’un pays considéré comme un pays d’origine sûr». Or le pays pris en compte ici est le pays de nationalité – en l’occurrence la Syrie, qui n’est pas considérée comme un pays d’origine sûr – et non le pays dans lequel il a obtenu une protection, la Suède.

Tania Racho ajoute auprès de CheckNews que ce qui peut présider à une décision de procédure accélérée serait une dissimulation ou un mensonge de la part demandeur, comme indiqué à l’article L531-26. Or à l’heure actuelle, il n’est pas établi que l’assaillant aurait dissimulé le fait qu’il bénéficiait déjà d’une protection en Suède.

Dans le cadre d’une procédure habituelle, le Ceseda prévoit un délai de réponse non contraignant «d’un mois suivant l’introduction de la demande». Mais l’article R531-31, note Serge Slama, prévoit que l’Ofpra peut saisir le préfet compétent afin de «s’assurer que le demandeur est effectivement réadmissible dans le pays où il bénéficie du statut de réfugié». Dans ce cas, le délai de base est suspendu. Ce qui permettrait d’expliquer pourquoi sa demande a mis six mois (de novembre à avril) avant d’être jugée irrecevable. Questionné sur ce point, le ministère de l’Intérieur n’a pas répondu.

Pouvait-il rester en France après sa notification de refus ?

Vient enfin la question du refus de sa demande d’asile en France. Celle-ci est notifiée à Abdelmasih H. le 4 juin. Selon l’Intérieur, à cette date, «l’intéressé en prend connaissance via son compte numérique». A partir de là, il disposait d’un délai d’un mois pour former un recours devant la Cour nationale du droit d’asile.

Mais on ignore si Abdelmasih H. avait fait appel de la décision. Si aucun recours n’est formulé, alors le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin lorsqu’il apprend la décision d’irrecevabilité, c’est-à-dire le 4 juin, quatre jours avant les faits. Le temps que la préfecture en soit elle-même informée, il existe donc un délai relatif pour qu’une décision de remise à la Suède soit enclenchée, nous indique encore Serge Slama.

Pour le spécialiste, le vrai écueil n’est donc pas celui pointé par Marine Le Pen. Il réside, selon lui, dans «la non prise en charge» par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) d’un homme visiblement décrit en errance depuis plusieurs mois. Interrogé par CheckNews, Didier Leschi, directeur général de l’Ofii, indique que, «comme tout demandeur d’asile», il a été «interrogé sur situation personnelle, l’entretien dit de vulnérabilité étant prévu par le Ceseda». Mais qu’il n’a «pas fait part de vulnérabilité particulière». Il est aujourd’hui mis en examen pour «tentatives d’assassinats» et «rébellion avec armes» et placé en détention.