Midterms : une désinformation moins influente, mais toujours "ambiante"


Publié le mardi 3 janvier 2023 à 18:15

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Une électrice dépose son vote pour les Midterms, dans le Comté de Maricopa, en Arizona le 25 octobre 2022. 

(OLIVIER TOURON / AFP)

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Nathan Gallo, AFP France

Comme désormais lors de chaque scrutin aux Etats-Unis, les élections de mi-mandat du 8 novembre 2022 ont donné lieu à un florilège de désinformation en ligne. Mais contrairement aux dernières élections présidentielles, ces théories remettant en cause les résultats du vote semblent avoir eu moins d'impact sur la bonne tenue du scrutin. Malgré tout, le "bruit ambiant" de la désinformation demeure.

Le 8 novembre dernier, les électeurs américains sont appelés aux urnes pour les Midterms. Une élection à haut risque pour les Démocrates face à une vague républicaine annoncée depuis plusieurs semaines. 

Pour la première fois depuis 2017, le Grand Old Party a l'opportunité d'obtenir une majorité totale au Congrès. 

Mais de nombreux observateurs s'inquiètent surtout des menaces pesant sur l'élection, avec la prolifération des discours remettant en cause l'intégrité des scrutins ces dernières années.

Ce jour-là, le directeur du Stanford Internet Observatory Alex Stamos, qui observe et analyse depuis plusieurs mois les discussions entourant l'élection sur les réseaux sociaux, est sur le pont. Lui et son équipe ont organisé une "cellule de crise" pour surveiller les différentes formes de désinformation remettant en cause le processus électoral.

Tout au long de la journée, l'ensemble des discussions sur les différentes plateformes et messageries sur le scrutin seront scrutées et analysées par la cellule, mise en place dans le cadre de l’Election Integrity Partnership (EIP), projet apartisan formé en 2020 et pensé comme une vigie face à la désinformation politique.

Une "désinformation généralisée", mais aux effets "plus modérés"

 « Nous avons observé plus de contenus considérés comme de la désinformation électorale qu’en 2020 », raconte-t-il quelques jours après le vote, au micro du podcast Content Moderation, le 14 novembre.
Mais à ses yeux, les effets portés par cette désinformation ont en réalité été "bien plus modérés" que lors de l'élection de 2020.

La désinformation sur le processus électoral a pourtant été massive. Fraude aux machines à voter, trafics de vote via le vote par correspondance, accusations de tricherie contre les assesseurs : comme lors des dernières élections, un flot d'infox remettant en cause les résultats du scrutin a été déversé en ligne. 

Au lendemain du scrutin, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a déploré une "désinformation généralisée", qui a cherché à "décrédibiliser le processus électoral" lors de ces Midterms.

Mais la désinformation électorale semble finalement avoir peu affecté le scrutin. Au lendemain de l'élection qui a finalement vu les Démocrates conserver le Sénat, le président des Etats-Unis Joe Biden a même salué la bonne tenue du vote, vantant  "un bon jour pour la démocratie".

"Stop the steal" : un discours qui a moins "attiré" par rapport à 2020

"Les discours sur la fraude électorale circulent toujours", a expliqué Jared Holt, chercheur à l'Institute for Strategic Dialogue, à Axios mi-novembre. "Mais à la différence de 2020, ils semblent moins attirer les gens". 

"Nous avons atteint un point de saturation sur les thématiques liées à la fraude électorale", décrit de son côté Martin Riedl, chercheur au Center for Media Engagement de l'Université d'Austin. 

S'il explique qu'il "est maintenant très facile de mobiliser ce type d'argumentaire auprès des électeurs", qui entendent désormais parler de ces théories depuis 2016, le chercheur estime aussi que les électeurs "sont maintenant plus attentifs à l'importance de ces théories du complot et sont peut-être plus à même de détecter des affirmations potentiellement fausses". 

Le fact-checking régulier de nombreux médias américains aide aussi à déceler le vrai du faux sur le sujet : "la saturation des thématiques sur la fraude électorale amène donc aussi des effets positifs, même s'il est difficile de le quantifier."

L'organisation Common Cause, qui a surveillé le bon déroulement du scrutin, a aussi mis en avant la participation importante lors de l'élection, comme une preuve que "le rejet du processus électoral fondé sur des mensonges" n'avait pas eu de prise sur les électeurs, a déclaré Khalif Ali, le directeur de Common Cause Pennsylvanie, au lendemain du scrutin.

Par rapport aux dernières élections, les observateurs ont aussi constaté que peu de candidats, à l'exception notable de la candidate républicaine en Arizona Kari Lake, avaient promu l'idée d'un vol de l'élection, martelée par Donald Trump en 2020 avec son slogan "Stop the Steal".

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Un soutien républicain lors d'un meeting de la candidate républicains en Arizona Kari Lake, à Scottsdale, en Arizona le 8 novembre 2022 (Olivier Touron / AFP)

Avant les résultats, la présidente du parti Républicain Ronna McDaniel avait ainsi elle-même annoncé que le parti accepterait l'ensemble des résultats des scrutins. 

Les plateformes, plus agressives face à la désinformation

Autre différence notable par rapport à 2020 : les principales plateformes ont aussi durci leur modération face à la désinformation électorale, sur Facebook comme sur Twitter. Les deux entreprises avaient été contraintes de réagir, après le 6 janvier 2021, date des émeutes au Capitole à la suite de la défaite de Donald Trump, qui ne reconnaissait pas ce revers face à Joe Biden. 

A l'époque, les comptes de l'ancien président des Etats-Unis avaient été supprimés et les deux réseaux sociaux avaient commencé à agir plus fermement face à la désinformation politique - bien qu'Elon Musk, nouveau PDG de Twitter depuis fin octobre, ait fait le choix de rouvrir le compte de l'ex-président. 

Mais ces discours anti-démocratiques trouvent désormais leur place sur de nouveaux réseaux.  "Retirer Trump de ces plateformes a provoqué la fuite de nombreux internautes de Twitter et Facebook", décrit Alex Stamos dans son interview à Moderated Content. 

Des réseaux alternatifs sans modération

"L'écologie des médias a été refaçonnée en 2022 par la nouvelle stratification des plateformes selon l'idéologie et le parti politique", explique Martin Riedl, "Cela n'était pas le cas en 2016, quand le secteur était plus centralisé", autour de quelques plateformes principales.

De nombreux internautes ont ainsi trouvé refuge sur des plateformes alternatives, comme Gab, Parler ou le nouveau réseau social créé par Donald Trump en février 2022, Truth Social. 

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Logo du réseau social Gab (Olivier DOULIERY / AFP)

Toutes assument des politiques de modération moins fortes, comme l'explique lui-même le fondateur de Gab Andrew Torba, dans un communiqué publié le 5 novembre. "Alors que Twitter, Facebook, YouTube et d'autres se préparent à censurer toutes les conversations dénonçant la fraude électorale, la politique électorale de Gab est simple : le premier amendement [NDLR, article fondateur sur la liberté d'expression]", a-t-il déclaré.

"Nous n'allons pas policer les discussions sur l'élection avant, pendant ou après le vote. Nous n'allons pas fact-checker les faits ", a précisé le fondateur, demandant par ailleurs aux Chrétiens de "voter républicain".

Mais la circulation de ce type de désinformation ne se limite pas à ces seules plateformes alternatives. Les messageries privées comme Whatsapp ou Telegram, devenues des espaces de discussions politiques ces dernières années, ont aussi été des lieux de propagation de désinformation électorale.

Telegram fût même désigné par Alex Stamos comme "la grande plateforme" de la soirée électorale, après que ce dernier a observé tout au long de la journée la forte prolifération de contenus extrêmes et d'appels à entraver le scrutin.

Les formats courts vidéo, nouveau format de désinformation électorale

Qu'en est-il de TikTok, la plateforme vidéo chinoise désormais utilisée par 85 millions d'utilisateurs aux Etats-Unis ? "Tiktok est l'éléphant dans la pièce", note Martin Riedl. 

Alors que de plus en plus d'Américains déclarent s'informer via cette plateforme, le chercheur décrit un réseau social sur lequel il est beaucoup plus difficile de surveiller et d'observer les contenus qui y circulent.

Plus globalement, le format-même de ces vidéos courtes, désormais aussi proposés par Instagram (Reels) ou Youtube (Youtube Shorts) pour contrer TikTok, pose désormais de nouveaux problèmes de modération.

Dans un rapport publié quelques jours avant le scrutin, l'Institute for Strategic Dialogue a ainsi alerté face à la prolifération de "désinformation électorale" à la suite de "l'adoption par les plateformes de contenus vidéo de courte durée", non adaptés aux politiques de modération existantes de Facebook ou Youtube. 

Malgré la bonne tenue de ces élections, la désinformation électorale continue de circuler massivement en ligne, même sur les principaux réseaux sociaux. "La désinformation est devenue un bruit ambiant, toujours présent, qui va continuer à alimenter nos conversations", souligne ainsi Martin Riedl.

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Le Capitole, où se situe le Congrès américain, à Washington (Mandel NGAN / AFP)

Ce fact-check a été également publié par Grand angle DE FACTO.

Ce fact-check a été publié par DE FACTO.