Accidents de chasse : la publication pro-chasse polémique d’Aimy Giverdon passée au crible


Accidents de chasse : la publication pro-chasse polémique d’Aimy Giverdon passée au crible

Publié le lundi 21 février 2022 à 10:48

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(Twitter)

Auteur(s)

Romain Bitot

Aimy Giverdon, militante pro-chasse, a posté le 8 novembre 2021 sur Twitter et Facebook un document qui  affirme que la chasse “est nettement moins accidentogène que bien d’autres loisirs”. Mais en juxtaposant des données de 2010 avec celles de 2018, elle relaie une comparaison mensongère.

« Remettons l'Église au milieu du village ! ». C’est le message qu’a voulu faire passer  Aimy Giverdon le 8 novembre 2021 en publiant sur Twitter et Facebook, aux alentours de 8h30, la photographie d’une image reprenant les chiffres des décès dans onze sports dont la chasse en 2018. La publication a été citée plus de 615 fois, retweetée 110 fois et likée par 289 utilisateurs (chiffres au 06/12). Mais qui est Aimy Giverdon ? D’où vient cette image ? Les chiffres repris sont-ils exacts ?

Qui est Aimy Giverdon ?

Dans sa bio Twitter, Aimy Giverdon se définit comme une « ex-anti-chasse AVA devenue Chasseresse ». AVA, pour « Abolissons la Vénerie Aujourd’hui », est une « organisation populaire » créée fin 2016 par Stanislas Broniszewski pour lutter contre la vénerie, la chasse à courre. Âgée de 28 ans, elle est originaire de Crépy-en-Valois, dans le Sud de l’Oise. Dans un portrait du Courrier Picard daté du 9 novembre 2021 (article réservé aux abonné.e.s), Aimy Giverdon nous apprend qu’elle “s’est vite posée des questions” sur ses actions au sein de AVA. Elle a voulu comprendre la pratique de la chasse d’elle-même. Aimy Giverdon prend contact avec des chasseurs et, de fil en aiguille, change drastiquement sa vision de ce sport puis passe son permis chasse en juin dernier.

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Capture d’écran d’une vidéo postée et épinglée par Aimy Giverdon sur son fil Twitter le 18 septembre 2021. Vidéo prise lors d’un rassemblement pour la défense de la ruralité le 18 septembre 2021 à Amiens.

Très active sur Twitter, Aimy Giverdon publie et retweete majoritairement des posts de promotion et de défense de la chasse. Elle est aujourd’hui érigée en porte-drapeau de la cause pro-chasse. Un billet lui est accordé sur le site lechasseurfrançais.com dans lequel son auteur, un certain Richard sur Terre, lui vante des qualités de remise en question et d’esprit d’ouverture. 

D’où provient cette image ?

L’image reprise par Aimy Giverdon semble être la photo d’une page de magazine. Le type de papier utilisé ainsi que la rubrique « infos » en haut à gauche de l’image nous aiguille sur cette piste. Malheureusement, nos recherches d’image avec différents moteurs de recherche n’ont pas permis de corroborer cette hypothèse.

Dans tous les cas, la photo n’est pas d’Aimy Giverdon puisqu’on en retrouve la trace sur les réseaux sociaux en 2020. Publiée par ACCA Massérac, l’Association communale de chasse agréée, elle était déjà en ligne sur Facebook le 29 septembre 2020, son vestige le plus ancien sur le net. Pour autant, cette date de mise en ligne coïncide-t-elle avec la date de prise de la photo ?

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Capture d’écran Facebook

Pour vérifier cela, une autre piste nous tend les bras : l’actualité sur la peste porcine que l’on devine en bas de l’image. On peut y lire : « Un vaccin contre la PPA (peste porcine africaine, ndlr) serait trouvé ». En tapant mot pour mot ce titre sur internet, on découvre qu’un article web publié sur chassepassion.net, fait état de cette trouvaille précisément le 16 mai 2019. La photo ne serait donc pas antérieure à mai 2019. Dans la mesure où elle reprend des chiffres de 2018, cette hypothèse sur la temporalité de la photo semble être la plus plausible.

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Alors pourquoi a-t-elle été relayée le 29 septembre 2020, sa plus ancienne présence sur le web ? La résurgence de la publication coïncide avec le débat autour de la pratique de la chasse. Le 25 août 2020, Yannick Jadot, alors député EELV, déclarait dans le 8h30 de France Info vouloir aller « vers une sortie progressive de la chasse ». Au grand dam des pratiquants.

Les chiffres repris dans l’article de la photo sont-ils exacts ?

Les chiffres exploités dans la publication proviennent d’une étude publiée en 2010 dans le Journal de traumatologie du sportqui dépend directement de la Société Française de la Traumatologie du Sport (SFTS). Intitulée ”Une estimation des décès traumatiques liés à la pratique sportive en France métropolitaine”, elle a été dirigée par Bertrand Thélot, responsable de l’unité Traumatisme à l’Institut de veille sanitaire (InVS). Cette étude a pour objectif de dresser un bilan des accidents mortels subis par des personnes pendant leur exercice du sport. Les chiffres de l’étude sont basés sur des données d’institutions publiques, d’associations et de médias.

La publication les reprend … sauf pour la chasse. Dans l’étude d’origine, la catégorie « chasse et sports d’armes » comptabilise 27 décès au total. Or, la photo partagée par Aimy Giverdon  n’en relève que 13. Ces treize morts correspondent aux chiffres de l’Office français de la biodiversité, un établissement public consacré à la protection et la restauration de la biodiversité en métropole et dans les outre-mer. Cela a pour effet de déclasser automatiquement la chasse dans la liste de l’article. Avec les 27 morts de l’étude de la SFTS, la pratique aurait dû se trouver à la deuxième place, juste derrière l’alpinisme.

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Capture d’écran de l’étude « Une estimation des décès traumatiques liés à la pratique sportive en France métropolitaine » publiée dans le Journal de traumatologie du sport en 2010

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Captures d’écran de l’étude de Santé publique France, « Décès traumatiques en pratique sportive en France métropolitaine », 24 janvier 2020

Plus troublant est le choix de la date de l’étude. L’article photographié assure que les chiffres repris sont valables pour l’année 2018. Or, le Journal de traumatologie du sport, d’où les données sont tirées, travaille sur la période du 1er janvier au 31 décembre 2010. La seule valeur appartenant à l’année 2018 est donc celle de la chasse. Dès lors, quel classement obtient-on si nous appliquons les mêmes comparaisons avec les chiffres des années 2017 et 2018 tirés de l’étude de Santé publique France, Décès traumatiques en pratique sportive en France métropolitaine (à télécharger) et publiée le 24 janvier 2020 ?

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Captures d’écran de l’étude de Santé publique France, « Décès traumatiques en pratique sportive en France métropolitaine », 24 janvier 2020

Après avoir saisi les valeurs dans un tableur Excel, nous obtenons le graphique suivant :

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La chasse occupe, sur les années 2017 et 2018, la dernière place de ce classement avec 34 décès traumatiques lors de sa pratique, soit 5 % du total (810).

Si l’on se concentre au seul cas de la chasse, le nombre de décès liés à sa pratique a nettement baissé sur 22 ans comme le rapporte l’Office français de la biodiversité dans son bilan annuel des accidents de chasse pour la période 2020-2021. Entre la saison 1999/2020 et celle de 2020/2021, les accidents mortels ont chuté de 70 % environ. De 39 pour 1999/2000, ils sont passés à 7 en 2020/2021. L’OFB ne manque pas de préciser que ces chiffres sont à interpréter avec réserve, s’inscrivant dans un contexte de crise sanitaire et de confinements.

La publication d’Aimy Giverdon n’utilise donc pas les bons chiffres au bon moment. Des données censées dater de 2010 ne peuvent être utilisées en les faisant passer pour des chiffres de 2018. En revanche, si les chiffres sont exacts une fois décontextualisés, la méthodologie est surprenante. Si Aimy Giverdon avait utilisé les résultats de l’étude de Santé publique France Décès traumatiques en pratique sportive en France métropolitaine pour les années 2017 et 2018, elle aurait rendu son discours de dédiabolisation de la pratique de la chasse plus éloquent.

Ce fact-check a été également publié par Ecole de journalisme de Sciences Po.

Ce contenu a été réalisé dans le cadre d'un enseignement de l'Ecole de journalisme de Sciences Po.