Les énergies renouvelables “moins chères que le nucléaire” ? Un calcul sujet à débat, et loin d’être immuable


Les énergies renouvelables “moins chères que le nucléaire” ? Un calcul sujet à débat, et loin d’être immuable

Publié le mercredi 23 février 2022 à 15:46

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(Daniel Jolivet / Creative Commons / 28 septembre 2018)

Auteur(s)

Gwenn Allanic

Sur Twitter, à la radio ou sur les plateaux TV, Yannick Jadot, candidat d’Europe Ecologie les Verts, affirme que le coût du nucléaire est supérieur à celui des énergies renouvelables. Toutefois, le coût de ces deux systèmes pris dans leur entièreté (en comptant par exemple les coûts de transport, de distribution et de stockage…) est compliqué à estimer et le résultat  n’est pas immuable. En effet, à l’heure actuelle, les experts assurent qu’il est impossible de prédire avec une grande certitude l’évolution future des coûts du nucléaire et du renouvelable.

Dans un tweet publié le 15 novembre 2021, Yannick Jadot, eurodéputé écologiste et candidat à l’élection présidentielle 2022 pour Europe Ecologie les Verts (EELV), affirme que : « le nucléaire d’Emmanuel Macron est au moins deux fois plus cher que les énergies renouvelables. »

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Crédit : Twitter @y_jadot - 15 novembre 2021

Invité sur dans l’émission Le 7/9 de France Inter le 15 novembre 2021, l’homme politique a réitéré cette affirmation : « je vous invite à lire le document du gouvernement qui avait fuité dans la presse [document fuité dans Contexte Energie le 26 octobre 2021], qui disait (…) que le nucléaire, en réalité, coûte bien plus cher [que le renouvelable]. »

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Crédit : Twitter France Inter – 15 novembre 2021

En réalité, tout dépend du calcul

Le rapport de « la feuille de route pour le secteur énergétique avec l’objectif zéro émissions nettes en 2050 » élaboré par l’Agence internationale de l’énergie et publié en mai 2021 donne raison à Yannick Jadot.

En effet, les données de 2020 (page 201) révèlent que l’énergie nucléaire est 2,7 fois plus chère (150 dollars le mégawattheure) que le photovoltaïque et l’éolien terrestre (55 dollars le mégawattheure chacun).

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Crédit : Rapport de l’Agence Internationale de l’énergie – mai 2021 - Page 201

Ainsi, l’affirmation selon laquelle « le nucléaire d’Emmanuel Macron est au moins deux fois plus cher que les énergies renouvelables » n’est pas forcément erronée. Mais tout dépend de ce que l’on inclut dans le calcul du coût de l’énergie.

En effet, dans ce rapport, l’Agence internationale de l’énergie a choisi d’évaluer le « coût actualisé » des différentes énergies (autrement appelé « LCOE », « Levelized Cost of Energy ») – mais ce mode d’évaluation ne prend pas en compte les coûts environnants permettant d’assurer la sécurité d’alimentation et les autres exigences techniques des différentes énergies.

Or, selon Philippe Quirion, directeur de recherche en économie de l’énergie au CNRS et directeur de l’association négaWatt, étudier le coût actualisé d’une énergie sans évaluer le coût du système dans son entièreté n’est pas la meilleure façon de procéder.

« Il faut faire des hypothèses sur la consommation d’électricité à terme et comment elle va se répartir au cours de l’année, des hypothèses sur le coût des installations de stockage, des coûts sur la flexibilité de la consommation de l’électricité, le coût des différentes technologies, mais on ne peut pas calculer le coût d’une technologie prise en isolation », explique le chercheur, contacté par téléphone.

Et d’ajouter : « La nuance est que la production des centrales nucléaires est pilotable, ce qui n’est pas le cas d’un point de vue solaire ou éolien. Si l’on veut prendre ça en compte, on ne peut pas comparer le coût d’une technologie par rapport à une autre, il faut comparer le coût du système électrique complet. »

Et c’est d’ailleurs ainsi qu’a procédé le RTE (Gestionnaire du Réseau de Transport d’Électricité) dans l’élaboration de son dernier rapport publié le 25 octobre 2021 qui dresse le bilan des « 6 scénarios envisagés à l’étude pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. »

Si le rapport indique dans un premier temps que : « les coûts ‘bruts’ de production des nouvelles centrales nucléaires (les anciennes centrales ne sont pas prises en compte dans l’évaluation) sont en moyenne plus élevés que ceux associés aux grands parcs d’énergies renouvelables », (page 30) il révèle ensuite que l’évaluation des deux systèmes pris dans leur entièreté (avec l’inclusion des coûts d’investissement et de maintenance dans le calcul) a pour conséquence de changer la donne : « L’intégration de volumes importants d’éoliennes ou de panneaux solaires engendre de très importants besoins en flexibilité (stockage, pilotage de la demande et nouvelles centrales d’appoint) pour pallier leur variabilité, ainsi que des renforcements des réseaux (raccordement, transport et distribution). Une fois ces coûts intégrés, les scénarios comprenant de nouveaux réacteurs nucléaires apparaissent plus compétitifs. »

Plus en détail, le RTE indique que les coûts complets annuels des énergies renouvelables à l’horizon 2060 s’élèveraient à 71 milliards d’euros tandis que ceux du nucléaire s’élèveraient à 61 milliards d’euros par an.

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Crédit : Rapport du RTE – 25 octobre 2021 – Page 31

Une différence de 10 milliards d’euros qu’il convient cependant de nuancer selon le RTE : « Les incertitudes sur les coûts à cette échéance sont majeures, pour le nucléaire comme pour les énergies renouvelables ou les moyens de stockage. » (page 30) Ainsi, si le coût du nucléaire était amené à exploser ces prochaines années, et que celui des énergies renouvelables chutait considérablement, la tendance pourrait s’inverser. Un scénario  envisagé dans le rapport du RTE, qui prend comme base « stress test » l’EPR de Flamanville, particulièrement coûteux. (Page 31)

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Crédit : Rapport du RTE – 25 octobre 2021 – Page 31

De son côté Yannick Jadot a critiqué la présentation du rapport de RTE, estimant qu’elle se basait “principalement sur une seule trajectoire d’évolution de la consommation électrique excluant toute évolution sociétale notamment de maîtrise des consommations”.

“Le gaspillage et l'ébriété énergétique ne sont pas une fatalité. L'explosion des factures et la précarité énergétique pour les familles ne sont pas une fatalité”, a-t-il insisté.

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Capture d’écran Twitter, prise le 15 novembre 2021

Le rapport de décembre 2020 de l’Agence Internationale de l’Energie maintient que l'électricité fournie par l'exploitation à long terme des centrales nucléaires “constitue l'option la moins coûteuse pour la production à faible émission de carbone.” (Page 223).

Hausse du nucléaire, baisse des énergies renouvelables : une tendance avérée ?

Dans l’émission le 7/9 de France Inter, Yannick Jadot affirme également que : « les coûts du nucléaire aujourd’hui ne font qu’augmenter quand les coûts des énergies renouvelables ne font que baisser. » Et d’ajouter : “La réalité c’est l’explosion des coûts du nucléaire et (…) la baisse systématique des coûts des renouvelables.” En précisant ces données (issues de la banque américaine Lazard) sur le plateau de l’émission du 20h22 sur France 2  jeudi 18 novembre, le candidat à la présidentielle a assuré que le coût du photovoltaïque avait été divisé « par 10 en 10 ans » et que celui de l’éolien avait connu une baisse de « 70% » en 10 ans.

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Crédit : France 2 – émission 20h22 – 18 novembre 2021 invité : Yannick Jadot

Une affirmation confirmée par le rapport du RTE : « alors que le nucléaire historique s’est révélé très compétitif et le demeure aujourd’hui, les réacteurs de troisième génération ont vu leur coût s’accroître tandis que celui des énergies renouvelables a diminué », peut-on lire page 13 du rapport.

Quid des données exactes ? Selon le rapport IRENA (International Renewable Energy Agency) élaboré en juin 2021, l’énergie photovoltaïque est passée de 0,381 cents par Kilowattheure en 2010 à 0,057 cents par kilowattheure en 2020. Le coût du photovoltaïque a donc été divisé par 6,68 en 10 ans, et non par 10.

Pour ce qui est de l’éolien terrestre, il est passé de 0,089 cents par kilowattheure en 2010 à 0,039 en 2020 et a donc connu une baisse de 68% en 10 ans, ce qui rejoint le chiffre annoncé par Yannick Jadot.

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           Crédit : rapport IRENA de l’AIE – juin 2021 – Page 1

Dans ce même rapport, l’IRENA affirme que : « les nouveaux projets solaires et éoliens coûtent de moins en moins cher, même par rapport aux centrales à charbon existantes les moins chères et les moins durables. »

Le nucléaire, synonyme de « gouffre financier » ?

Au-delà de la comparaison entre les coûts des énergies renouvelables et les coûts du nucléaire, selon Yannick Jadot « pas un seul investisseur privé dans le monde n'investit dans le nucléaire », parce qu’il s’agit  d’un véritable “gouffre financier”, a-t-il déclaré au micro de France Inter.

« Il n’y a que la France qui se pose la question du 50% du nucléaire aujourd’hui. A ma connaissance, je ne connais aucun pays qui projette 50% du nucléaire à l’horizon 2050 », réagit Philippe Quirion.

Pour autant, le chercheur insiste : il vaut mieux rester prudent quant à la projection de l’évolution du coût des énergies. « Aujourd’hui il y a encore débat et on ne connaît pas à l’avance le coût des différentes technologies. Il est difficile d’évaluer précisément les coûts de construction des EPR », indique-t-il.

Pascal Brault, délégué scientifique pour la cellule de recherche au CNRS, estime quant à lui que les coûts du photovoltaïque pourraient s'avérer encore plus attractifs à l’avenir si « une filiale européenne se développait et devançait l’économie chinoise (pionnière en la matière). » Autre facteur qui pourrait faire chuter le coût du photovoltaïque : l’investissement des industries françaises dans des méthodes encore “plus efficaces pour recycler les panneaux solaires. »

Ce fact-check a été également publié par Ecole de journalisme de Sciences Po.

Ce contenu a été réalisé dans le cadre d'un enseignement de l'Ecole de journalisme de Sciences Po.