Nucléaire : une centrale peut-elle réellement exploser en France ?


Nucléaire : une centrale peut-elle réellement exploser en France ?

Publié le vendredi 18 février 2022 à 13:15

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(Lou Benoist / AFP)

Auteur(s)

Lucie Dupressoir

Plusieurs écologistes alertent sur le risque d’explosion nucléaire dans nos centrales. Des craintes fondées au vu du nombre d’incidents et des négligences d’EDF, mais exagérées. Les dispositifs de sûreté en France sont conçus pour empêcher ce genre d’événement.

Le 10 octobre, Yannick Jadot, candidat EELV à l’élection présidentielle, affirmait sur Franceinfo qu’ « un réacteur nucléaire, ça peut nous péter à la figure ». Le 18 octobre, la Métropole de Lyon, dirigée par le maire EELV Grégory Doucet, actait le versement de 146.000 € de subventions à l’association anti-nucléaire Criirad pour doter l’agglomération lyonnaise de deux détecteurs de radioactivité, et permettre une alerte rapide en cas  d’incident. Mais ces inquiétudes sont-elles fondées ? Une explosion nucléaire peut-elle vraiment se produire au sein de l’un des 56 réacteurs français ?

Un accident nucléaire survient quand le cœur d’un réacteur entre en fusion à cause d’une hausse de  sa température ou quand l’une des barrières de radioprotection est affectée. Les rejets radioactifs  consécutifs sont dangereux pour la santé des populations et l’environnement. L’accident le plus grave  qui puisse survenir est celui conduisant à une explosion nucléaire, sur les modèles de Tchernobyl ou  Fukushima.

Les inquiétudes des écologistes sont légitimes. Les rapports de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) sur les dix dernières années montrent que le nombre d’incidents dans les centrales nucléaires françaises a connu une forte hausse. Entre 2010 et 2020, les recensements annuels d’incidents ont augmenté de près de 29%. Cette hausse est d’autant plus notable que le nombre de réacteurs est resté identique : aucune nouvelle centrale n’est entrée en service depuis 2002.

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56 réacteurs sont en service en France. (Crédits : AFP)

Depuis 2017, on dénombre systématiquement plus de 1000 incidents par an dont la presse régionale se fait d’ailleurs souvent l’écho. Le 24 septembre dernier, la Dépêche rapportait un incident de température dans un réservoir de la centrale de Golfech (Tarn-et-Garonne). Quelques semaines plus tôt, le Dauphiné Libéré annonçait la contamination d'un salarié par une molécule radioactive à la centrale de Cruas-Meysse (Ardèche) après un contrôle de sûreté. L'événement a été classé de niveau 2 sur 7 sur l’échelle internationale de gravité des événements nucléaires et radiologiques (INES).

Les chiffres sont d’ailleurs peut-être sous-estimés. Selon le Monde, un ancien cadre de la centrale de Tricastin a déposé plainte début octobre à l'encontre de sa direction et d'EDF. Il leur reproche de dissimuler des incidents à l'ASN et de ne pas respecter certaines procédures de sûreté. Il accuse également sa hiérarchie d'intimidations et de harcèlement pour empêcher la déclaration d'incidents.

Des dispositifs de sûreté efficaces

Mais d’après Karine Herviou, directrice générale adjointe en charge de la sûreté nucléaire à l’Institut  de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), l’augmentation des incidents recensés ne signifie  pas que les installations sont moins sûres et que le risque d’une explosion nucléaire s’élève. « Depuis  l’accident de Fukushima en 2011, l’ASN a beaucoup insisté sur l’importance de la conformité des  installations en termes de sûreté et EDF a augmenté son nombre de contrôles. Donc forcément, quand  on cherche, on trouve », explique-t-elle.

La récurrence d'incidents minimes n'est pas non plus le signe d'une explosion nucléaire imminente. Pour Karine Herviou, cette probabilité est même inenvisageable. « Aujourd’hui en  France, on a des réacteurs à eau sous pression qui sont justement conçus pour réduire la température  quand elle augmente », assure-t-elle. A mesure que la température s’élève dans le cœur du réacteur,  « la radioactivité baisse », ajoute l’experte en sûreté nucléaire.

Sans aller jusqu'à l'explosion, la France a déjà connu un accident nucléaire en 1980 à la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher) à cause d'une défaillance technique qui a provoqué l'inflammation de combustibles. Les dégâts sur le réacteur ont exigé des travaux de décontamination de plus de trois ans et demi. Toutefois, selon l'IRSN, l'accident n'a pas entraîné de risque important en dehors du site. Pourtant, à l’époque, les dispositifs de refroidissement fonctionnaient au gaz et n’étaient pas aussi efficaces que les réacteurs à eau sous pression actuels.

Néanmoins, malgré la fiabilité des dispositifs de sûreté actuels, on ne peut pas entièrement exclure  qu’un accident de ce type se produise à nouveau en France.  Et quand est-il des futurs petits réacteurs modulaires (SMR) dont Emmanuel Macron a annoncé la construction le 12 octobre pour engager la transition énergétique ? Présentés comme plus sûrs, ils ne sont pas exempts de risque non plus. « Le potentiel de sûreté sur ces réacteurs est intéressant parce qu’ils sont plus petits. Mais ce  sont quand même des réacteurs nucléaires, avec des quantités importantes de produits radioactifs et une énergie capable de les disperser », souligne Karine Herviou. La directrice adjointe de l’IRSN estime que des études sont essentielles pour s’assurer que les SMR apportent des gains en matière de sûreté.

Les manquements d’EDF sur les exigences de sûreté 

D'autant qu'EDF, censé assurer la sûreté des centrales, aurait encore des progrès à faire. Dans son rapport sur l’année 2020, l’ASN estime que « l’état réel de conformité  des installations aux règles qui leur sont applicables doit être sensiblement amélioré » par EDF.  L’Autorité constate notamment des « écarts affectant des matériels qui remettent en cause la capacité de ces derniers à remplir leur fonction en cas d’accident ».

L’impact que des catastrophes naturelles pourraient avoir sur les installations inquiète particulièrement l’ASN : « L’année 2020 a mis en lumière  des défauts de tenue au séisme de sources électriques, de matériels de sauvegarde et de refroidissement des réacteurs ». Ce manque de conformité est d’autant plus problématique que la résistance des centrales aux catastrophes naturelles est difficile à jauger. « Il est très compliqué de  savoir jusqu’à quel niveau d’eau d’inondation ou jusqu’à quel niveau de séisme il faut aller pour qu’il y  ait un danger de rejet », regrette Karine Herviou. 

Au-delà des accidents nucléaires, les spécialistes craignent aussi les explosions d’hydrogène. La fonte  du cœur d’un réacteur à cause de l’augmentation de sa température provoque en effet une importante  production d’hydrogène, qui peut mener à une explosion. « Les explosions d’hydrogène sont des  petites déflagrations dont le risque est d’endommager l’enceinte ou de casser des équipements à l’intérieur de l’enceinte », explique Karine Herviou. Ces réactions se sont effectivement produites pendant les accidents de Fukushima et de Three Mile Island aux Etats-Unis (1979). Pour prévenir la formation d’un mélange explosif d’hydrogène, EDF s’est doté de recombineurs d’hydrogène.

Repères

Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) : Elle vérifie, au nom de l’Etat, que l’exploitant des centrales  (EDF) remplit bien ses obligations en termes de sûreté nucléaires et que ses contrôles sont corrects.

Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) : Sous la tutelle des ministères chargés de  l’écologie, de la recherche, de l’énergie, de la santé et de la défense, cet établissement public est  chargé d’effectuer des recherches et expertises sur la sûreté nucléaire.

Ce fact-check a été également publié par Ecole de journalisme de Sciences Po.

Ce contenu a été réalisé dans le cadre d'un enseignement de l'Ecole de journalisme de Sciences Po.