VRAI OU FAUX. L'appel au boycott des produits israéliens est-il illégal ?
VRAI OU FAUX. L'appel au boycott des produits israéliens est-il illégal ?
Publié le lundi 29 janvier 2024 à 14:57
(XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)
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Léa Deseille
Si de tels appels sont punis par la loi quand ils sont basés sur des arguments d'incitation à la haine ou à la discrimination, ce n'est plus le cas lorsqu'ils sont fondés sur des motifs militants.
"Boycott Israël." La formule revient en force, ces dernières semaines, sur les réseaux sociaux. Depuis la recrudescence des conflits au Moyen-Orient, les appels à mettre à l'index des produits israéliens ou de marques accusées de soutenir le régime de Benyamin Nétanyahou se multiplient. Lundi 22 janvier, le média Factuel a interrogé Gérard Haas, un avocat spécialisé dans le droit numérique, au sujet de l'application Boycott X, qui permet de scanner des produits et d'identifier les sociétés figurant dans des listes de boycott. Sur l'antenne de Sud Radio, samedi, la journaliste Nora Bussigny, autrice de l'article, a repris les propos de l'avocat : "L'appel au boycott et le boycott sont illégaux en France." Des internautes ont dénoncé cette allégation, assurant que l'appel au boycott était légal en France. Mais que dit vraiment la loi ?
"Le terme de "boycott" n'apparaît pas dans la loi française. Mais il peut être pris en compte dans l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Celui-ci fait référence à la provocation à la discrimination", énonce Robin Médard Inghilterra, maître de conférences en droit public à la Sorbonne, spécialisé dans l'évolution du contentieux sur le boycott. "Il est condamnable s'il incite à la discrimination, qu'elle soit raciale, sexuelle ou en raison de la nationalité", ajoute-t-il.
Une conception juridique qui évolue depuis 2020
L'appel au boycott peut également être associé aux articles 225-1 et 225-2 du Code pénal. Il y est notamment mentionné que le fait de refuser la fourniture d'un bien ou d'un service et d'entraver l'exercice normal d'une activité économique relève d'une infraction. "Pour qu'un appel au boycott soit illégal, il doit être condamnable par ces articles", explique Robin Médard Inghilterra. Pendant des années, l'appel au boycott était condamné en France. Le 20 octobre 2015, la Cour de cassation a par exemple confirmé la condamnation à 1 000 euros d'amende avec sursis de quatre manifestants qui appelaient au boycott de produits israéliens.
Cinq ans plus tard, le 11 juin 2020, cette fois c'est la France qui est condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) dans une autre affaire d'appel au boycott de produits israéliens, avec l'arrêt Baldassi et autres contre France. La CEDH a alors affirmé que l'appel au boycott relevait de la liberté d'expression et devait donc être protégé. "L'appel au boycott est légal s'il s'inscrit dans un débat qu'on considère d'intérêt général et s'il vise la politique d'un Etat avant tout", précise Robin Médard Inghilterra. Ce changement de cap de la justice européenne crée une rupture et fera jurisprudence.
Le tournant d'une décision de la Cour de cassation
C'est seulement en octobre 2023, avec l'affaire Teva, que cette décision de la CEDH de 2020 s'est traduite dans le droit français. En 2016, des membres du Collectif 69 de soutien au peuple palestinien ont manifesté devant une pharmacie à Lyon. Ils portaient des vêtements arborant le slogan "Boycott Israël" et distribuaient des stickers à apposer sur la carte Vitale des clients pour ne pas recevoir de médicaments de Teva, une entreprise pharmaceutique israélienne. Ils accusaient la société de participer au financement de l'armée israélienne et de soutenir la politique colonialiste du gouvernement via leurs impôts. Après cet événement, la société Teva a porté plainte contre l'une des militantes, Olivia Zemor, pour appel à la discrimination en raison de l'appartenance à une nation et pour diffamation. Le 17 octobre 2023, la chambre criminelle de la Cour de cassation a relaxé la militante, comme l'avait déjà fait la cour d'appel de Lyon.
"Cette décision de la Cour de cassation entérine la liberté d'expression comme ciment du droit à l'appel au boycott."Paul Mathonnet, avocat de la militante Olivia Zemor
Aujourd'hui, la liberté d'expression prédomine. "La liberté d'expression des militants est protégée", ajoute Paul Mathonnet, avocat de la défense. Les appels au boycott en France ne sont plus illégaux, sauf dans des cas précis. "L'appel au boycott de certains produits doit être basé sur une contestation du régime ou d'une politique menée", précise Nicolas Hervieu, spécialiste en droit public et droit européen des droits de l'Homme. Dans le cas des produits israéliens, la politique colonialiste est souvent mise en cause par les militants. "Si une association lance un appel au boycott contre les produits israéliens parce qu'elle souhaite la suppression de l'Etat ou attiser une haine envers les habitants ou plus globalement envers les juifs, dans ce cas elle sera condamnée", ajoute le spécialiste.
Une légalité de l'appel au boycott qui dépend des motivations
Si les motifs de l'appel au boycott s'apparentent davantage à une incitation à la haine ou à la violence, cela rentre dans l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. "Les discours de haine ne relèvent pas du champ de protection qu'offre la liberté d'expression, déclare Nicolas Hervieu. Les condamnations sont donc plus rares, mais toujours possibles". La peine encourue est dans ce cas d'un an de prison et 45 000 euros d'amende.
Ainsi, l'appel au boycott des particuliers et militants est légal en France depuis 2020, si celui-ci n'implique pas de discours d'incitation à la haine ou à la discrimination en raison de la liberté d'expression. Une zone d'ombre reste cependant à éclaircir. Si l'appel au boycott peut être considéré comme légal pour les particuliers, ce n'est pas le cas pour les conseils municipaux. "Une municipalité ne peut décider d'un embargo, cela relève d'un pouvoir étatique", explique Robin Médard Inghilterra.