156 plaintes par jour pour des violences sexuelles dans les transports en commun d'Ile-de-France? C'est faux


156 plaintes par jour pour des violences sexuelles dans les transports en commun d'Ile-de-France? C'est faux

Publié le lundi 18 septembre 2023 à 12:54

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Une femme marche dans la station de métro Gare du Nord à Paris le 7 février 2023

(SAMEER AL-DOUMY / AFP)

Auteur(s)

Juliette MANSOUR / AFP France

La question des violences sexuelles dans les transports en commun est un phénomène répandu mais largement sous-estimé, selon les autorités comme les associations. Depuis fin août, le chiffre de "57.000 plaintes, soit 156 par jour [...] déposées en 2020 pour des violences sexuelles commises dans les transports en commun" d'Ile-de-France, est largement relayé par certains médias et internautes. Marine Le Pen l'a aussi repris lors d'un discours le 10 septembre. Mais le chiffre de 57.000 plaintes, tiré d'une note de la préfecture de police de Paris, a fait l'objet d'une erreur d'interprétation, a expliqué le service statistique du ministère de la Sécurité intérieure (SSMSI). Il concerne en réalité la France entière et tous les lieux; et non pas les seuls transports parisiens. 3% de ces plaintes portent sur des faits commis dans les transports en commun à l'échelle nationale. Pour autant, rappelle notamment le collectif NousToutes, quel que soit son périmètre, le nombre de plaintes déposées pour des violences sexuelles dans les transports en commun ne suffit pas à quantifier ce phénomène car de nombreuses victimes ne portent pas plainte.

Alors que la RATP a commencé à généraliser la descente à la demande (lien archivé ici) après 22 heures entre deux arrêts pour les bus parisiens, Le Parisien a consacré le 31 août 2023 un dossier à cette thématique.

Le journal a donné la parole à  des victimes d'agressions sexuelles (lien archivé ici) et raconté le quotidien de la police du métro parisien (lien archivé ici). L'un des articles se penchait sur la question des plaintes déposées pour agressions sexuelles dans les transports d'Ile-de-France, comme il est visible dans ce message sur X du journal, qui mentionne "156 plaintes par jour déposées pour des agressions sexuelles dans les transports franciliens"

Ce chiffre a massivement été repris par d'autres médias, de l'Humanité (lien archivé ici) à FranceInfo  (lien archivé ici) en passant par Ouest France (lien archivé ici), suscitant de nombreuses réactions indignées d'internautes.

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Capture d'écran prise le 13/09/2023 sur Google

 

Il a fait le tour des réseaux sociaux, relayé sur X (ex-Twitter) le 31 août par le compte Cerfia ou encore sur Facebook par Cerveau non disponible.

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Capture d'écran prise sur le compte X (ex-Twitter) de Cerfia le 12/09/2023

 

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Capture d'écran prise sur le compte X (ex-Twitter) de Cerfia le 12/09/2023

 

Rapidement, la classe politique s'est à son tour saisie de cette statistique pour réclamer des actions de l'exécutif.

Le 10 septembre 2023, depuis son fief d'Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais, où elle faisait son discours de rentrée, la présidente du groupe Rassemblement National à l'Assemblée, Marine Le Pen a déclaré : "Que reste-t-il de l'Etat quand nous apprenons qu'en 2020, 156 plaintes pour agressions sexuelles ont été déposées, chaque jour par des femmes, dans les seuls transports d'Ile-de-France", regrettant qu'aucune "mesure ne soit prise pour y répondre ni en matière législative ni en matière de politique pénale". 

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Capture d'écran prise sur le compte Facebook du Rassemblement national le 12/09/2023

 

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Capture d'écran prise sur Facebook le 13/09/2023

 

Les présidents des partis Debout la France Nicolas Dupont-Aignan, du Rassemblement national Jordan Bardella et de Reconquête Eric Zemmour ont également relayé ce chiffre mais en le présentant comme le nombre de plaintes déposées dans les transports en commun à l'échelle nationale.

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Capture d'écran prise sur Facebook le 14/09/2023

 

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Capture d'écran prise sur Facebook le 13/09/2023

 

D'où vient ce chiffre ?

L'article du Parisien (lien archivé ici) qui a le premier évoqué cette statistique a été publié le 31 août 2023 et évoquait initialement : "156 plaintes par jour déposées pour des agressions sexuelles dans les transports franciliens" comme le montre le tweet ci-dessous du média, ou la version papier.

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Capture d'écran prise sur X (ex-Twitter) le 12/09/2023

 

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Page de la version papier du Parisien du 31 août 2023, numérisée par l'AFP

 

Le titre originel est encore visible sur Twitter sur la prévisualisation de l'article inséré dans le message. Au 14 septembre, le titre de l'article est devenu : "mains aux fesses, frottements, caresses... une note alarmante sur le quotidien des femmes dans les transports".

Le journal expliquait avoir eu accès à une "note de contexte" de la Sûreté régionale des transports de la préfecture de police de Paris et écrivait que "57.000 plaintes pour violences sexuelles ont été enregistrées en 2020 par la police et la gendarmerie dans les transports parisiens et franciliens, soit 156 par jour en moyenne"

L'AFP a pu consulter le 13 septembre cette note intitulée "PV de contexte sur les agressions sexuelles dans les transports en commun", dans lequel il est notamment écrit que "parmi les victimes de violences sexuelles, 57.000 porteront plainte en 2020". 

"Mais il y a eu une erreur d'interprétation par les journalistes qui ont eu accès à cette note : ce chiffre correspond au nombre total des violences sexuelles enregistrées par les services de police et de gendarmerie en 2020  pour la France entière et tous lieux confondus", a corrigé le 13 septembre auprès de l'AFP Aurélien Poissonnier, Chef du bureau de l'analyse territoriale de la délinquance et des études sur les relations forces de sécurité-population au sein du service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI).

Ce chiffre de "57.000 plaintes" cité par la préfecture de police de Paris est tiré du bilan portant sur l'insécurité et la délinquance en 2021 publié par le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI).

Il figure à la page 16 du document, dans un tableau de synthèse qui indique que pour l'année 2020, "57.100 plaintes pour violences sexuelles" ont précisément été constatées par la police et la gendarmerie. 

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Capture d'cran prise le 14/09/2023

 

Parmi ces 57.000 plaintes, 3% concernent des faits commis dans les transports en commun et à l'échelle nationale en 2020,"l'Île-de-France représente un peu moins de la moitié de cette part", poursuit le SSMSI.

Ainsi, en 2020, ce ne sont pas 156 plaintes par jours qui ont été enregistrées en Île-de-France pour violences sexuelles dans les transports en commun, mais " moins de 1.000 par an, soit moins de 3 par jour ou encore environ 0,3 par million de voyage", indique encore le service dépendant de Beauvau.

Contacté par l'AFP le 13 septembre, l'un des auteurs de l'article du Parisien a confirmé avoir interprété à tort le chiffre de "57.000 plaintes" comme concernant uniquement les violences sexuelles dans les transports collectifs franciliens.

"Les chiffres qui ont circulé dans les médias hier [31 août, NDLR] sont complètement farfelus", avait de son côté déclaré  le 1er septembre le préfet de police de Paris Laurent Nuñez lors d'un point presse au sein du Centre de coordination opérationnelle de sûreté (Cecos). 

Par ailleurs, ces chiffres ne sont pas les plus récents publiés sur le sujet. En 2022, les transports en commun ont enregistré une légère augmentation des vols et violences en 2022, avec un phénomène marqué de hausse des violences sexuelles, selon le rapport annuel du service statistique de l'Intérieur, publié le 14 septembre 2023

Le SSMSI précise que 124.570 victimes de vols et de violences ont été enregistrées en 2022 dans les différents transports publics du pays, soit une hausse de 2% par rapport à l'année 2021.

Le nombre de victimes de violences sexuelles enregistré connaît une forte augmentation de 13% sur un an et jusqu'à 19% en Île-de-France "dans un contexte de libération de la parole", analyse le ministère. Selon ce rapport, les violences sexuelles dans les transports représentent 3% des affaires recensées au niveau national. 

Dans les transports en commun, les victimes sont plus souvent étrangères (27%) et particulièrement venant d'ailleurs que d'Europe, comme détaillé dans cette dépêche AFP (lien archivé ici).

Un phénomène sous-évalué

Néanmoins, le nombre de plaintes seuls ne permet pas de quantifier le phénomène des violences sexuelles commises à l'encontre des femmes dans les transports en commun, certainement bien plus élevé que ne le laissent apparaître les chiffres des plaintes enregistrées.

Dans la note de la préfecture des police consultée par l'AFP, l'institution explique "que certaines victimes ignorent le caractère délictuel des atteintes qu'elles subissent. D'autres intègrent ces violences dans leur quotidien et estiment qu'une démarche serait inutile. Enfin le sentiment de honte ressenti par certaines femmes les empêchent de dénoncer ces agressions".

"Souvent il y a une sidération, on descend rapidement pour semer son agresseur, on n'a pas eu le temps de voir son visage, donc on ne va pas aller porter plainte. Déposer une plainte est utile pour avoir des statistiques, mais la victime risque d'être mal reçue car il est fréquent que les autorités minimisent les faits, les culpabilisent, ne prennent pas les plaintes ou bien que les plaintes n'aboutissent pas", pointe le 13 septembre pour l'AFP Lena Ben Ahmed, membre de la coordination nationale de NousToutes.

Une enquête du collectif féministe menée en 2020 à partir du témoignage de 3.500 personnes, en grande majorité des femmes, estimait ainsi que 66% des victimes avaient reçu une "mauvaise prise en charge" par les forces de l’ordre en voulant déposer une plainte pour des faits de violences sexuelles, soulignant un "manque d'empathie et de professionnalisme" des autorités et une "culpabilisation" des victimes.

L'Institut national des études démographiques (Ined), contacté par l'AFP le 12 septembre, souligne de son côté que des données sur les "violences faites aux femmes les espaces publics en Ile-de-France" de son enquête Virage menée sur une base déclarative en 2015 montrait que 43% des faits qualifiés de "graves" par l'institut commis sur les Franciliennes (avoir été interpellée publiquement sous prétexte de "drague", avoir eu affaire à un exhibitionniste, avoir été suivie, avoir éte touchée ou embrassée de force)  avaient  lieu dans les transports en commun, contre 40% dans la rue. 

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Capture d'écran du dossier de l'Ined sur les violences faites aux femmes dans les espaces publics en Ile-de-France

 

Transilien SNCF a mis en place le numéro d'alerte 3117, ou 31177 par SMS, pour permettre de signaler une situation de harcèlement, en tant que victime ou témoin, "mais beaucoup de femmes nous ont rapporté qu'elles n'ont jamais réussi à joindre le service ou de grosses lenteurs", regrette Lena Ben Ahmed. 

Face à une personne harcelée dans les transports, le collectif rappelle que n'importe qui peut aider.

"Une femme harcelée se sent très seule, et essaye souvent d'appeler un regard, hors, les regards fuyants créés encore plus d'isolement. Le simple fait de casser ce cyle en faisant semblant de connaître la personne pour que l'agresseur voit qu'il n'est pas seul et que des personnes autour sont prêtes à agir peut le décourager. Il faut parler à la personne, lui dire qu'elle n'est pas seule, qu'on peut la raccompagner si elle craint d'être suivie à son domicile, l'aider à porter plainte uniquement si elle le souhaite, et enfin donner le numéro du 3919 [pour les victimes de violences sexistes et sexuelles, NDLR] pour qu'elle puisse parler de ce qu'il lui est arrivé", conclut Lena Ben Ahmed.

 

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