80% de la production mondiale de pétrole désormais contrôlée par les Brics ? Non
80% de la production mondiale de pétrole désormais contrôlée par les Brics ? Non
Publié le vendredi 8 septembre 2023 à 12:45
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Maja CZARNECKA / Emilie Beraud / AFP Pologne / AFP France
Alors que les cinq pays émergents composant le groupe des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ont annoncé l'intégration à venir de six nouveaux membres dont d'importants producteurs de pétrole, à savoir l'Arabie saoudite, l'Iran et les Emirats arabes unis, des messages diffusés dans plusieurs langues sur les réseaux sociaux prétendent que "les nouveaux Brics" contrôlent désormais "80% de la production mondiale de pétrole". C'est faux : si cet élargissement représente un tournant géopolitique majeur, les données du secteur prévoient que le bloc élargi à partir de janvier 2024, contrôlera un peu plus de 40% de la production mondiale de pétrole.
"Les nouveaux BRICS contrôlent 80% de la production de pétrole mondiale", prétendent de nombreuses publications (lien archivés ici, ici, ici) relayées plus de 1.300 fois sur X (ex-Twitter) et des centaines de fois sur Facebook depuis le 24 août 2023, carte à l'appui.
Réunis à Johannesburg (Afrique du Sud) ce jour-là, les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ont annoncé une expansion du bloc des pays émergents qui cherche à étendre son influence et intègrera dès janvier six nouveaux membres. L'Iran, l'Argentine, l'Egypte, l'Ethiopie, l'Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis ont été invités à rejoindre le groupe (lien archivé ici), a ainsi annoncé le président sud-africain Cyril Ramaphosa.
Parmi eux, l'Arabie saoudite, l'Iran et les Emirats arabes unis sont d'importants producteurs d'or noir et membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (lien archivé ici), organisation intergouvernementale composée de 13 pays membres (lien archivé ici), auxquels il faut ajouter 10 autres pays membres d’une nouvelle alliance pétrolière nommée OPEP+.
Ce "tournant historique" est le signe que "les USA sont en train de perdre l'arme du dollar", avancent certains posts, ajoutant que "si la France veut limiter la casse il faut virer tous ces traitres européistes."
"En U.E et aux U.S.A nous allons bientôt marcher à pied ou aller à bicyclette...", commentent encore d'autres légendes.
Des assertions similaires circulent dans d'autres langues, accompagnées du même visuel, notamment en polonais (lien archivé ici), en slovaque (lien archivé ici) et en anglais (lien archivé ici), cette dernière publication cumulant 2,5 millions de vues.
"Il en va de même pour la forte croissance du PIB des nouveaux pays BRICS. Il représentera 30% du PIB mondial et dépassera les 30 000 milliards de dollars", complètent plusieurs messages.
L'élargissement du bloc va effectivement entraîner une augmentation de son PIB global et un changement géopolitique majeur sur la scène internationale.
Cependant, en dépit de l'entrée de l'Arabie saoudite, de l'Iran et des Emirats arabes unis au sein des Brics, la production de pétrole du bloc devrait représenter environ 40% de la production mondiale lorsqu'il sera formé : loin des 80% avancés par les publications diffusées sur les réseaux sociaux.
Qui sont les Brics ?
Les pays émergents des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) se sont réunis du 22 au 24 août à Johannesburg. Pesant actuellement 23% du produit intérieur brut (PIB) mondial et 42% de la population du globe, ils veulent affirmer leur poids sur la scène mondiale.
Créé en 2009, le bloc se réunit une fois par an lors d'un sommet hébergé à tour de rôle par l'un des cinq pays membres, géographiquement éloignés. L'objectif de ces sommets est d'affirmer la place de ces économies, à la croissance inégale, en particulier au regard des États-Unis ou de l'Union européenne.
Ce "club des cinq" promeut la reconnaissance d'un équilibre économique et politique mondial multipolaire, en rupture avec les organisations héritées de l'après-Seconde guerre mondiale, comme la Banque mondiale et le FMI.
La croissance économique des Brics est surtout portée par la Chine et l'Inde. Un des facteurs d'attraction du groupe est notamment la création d'une Nouvelle banque de développement (NDB) (lien archivé ici) dont l'ambition est d'offrir une alternative à la Banque mondiale et au FMI.
La structure, dont le siège est à Shanghai, a investi 30 milliards de dollars depuis sa création en 2015 dans des projets d'infrastructure et de développement durable, dans les États membres et les économies en développement.
Les nouveaux Brics : environ 40% de la production mondiale de pétrole...
"Les nouveaux BRICS contrôlent 80% de la production de pétrole mondiale", affirment les publications diffusées sur les réseaux sociaux, alors que le bloc s'apprête à intégrer six nouveaux pays.
Le 25 août 2023, l'analyste pétrolier polonais Andrzej Szczesniak a toutefois contrecarré ces données sur son compte X (ex-Twitter) (lien archivé ici). Selon ce spécialiste, le chiffre de 80% est faux, et les 11 pays membres des nouveaux Brics représenteront "43% de la production mondiale de pétrole".
Les données du secteur confirment cet ordre de grandeur. Les trois pays producteurs membres de l'OPEP (Arabie saoudite, Iran, Emirats arabes unis) ajouteraient 20% de la production mondiale de pétrole à la part actuelle de 21% des Brics, selon les estimations de production (lien archivé ici) de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), organisation internationale basée à Paris (lien archivé ici).
Plusieurs médias, tels que le magazine économique américain Forbes (lien archivé ici) et le site de datajournalisme Visual Capitalist (lien archivé ici), avancent des chiffres similaires. Le graphique ci-dessous, réalisé par Visual Capitalist, montre comment l'arrivée des six nouveaux membres influencera la portée des Brics dans les secteurs de l'énergie ou encore du commerce international :
"L'entrée de l'Arabie saoudite, de l'Iran et des Émirats arabes unis fera plus que doubler la part des BRICS dans la production mondiale de pétrole", peut-on lire sur le graphique, portant la part de l'Arabie saoudite en 2022 à 12,9%, celle de l'Iran à 4,1% et celle des Emirats arabes unis à 4,3%. Au total, les Brics devraient représenter 43% de la production mondiale de pétrole selon cette source, qui se base sur les données de l'organisme britannique Energy Institute (lien archivé ici).
Le think tank américain Center for Strategic and International Studies (CSIS) est parvenu à des conclusions similaires (lien archivé ici). "Avec l'ajout de l'Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et de l'Iran, ce groupe élargi comprendrait trois des plus gros exportateurs de pétrole au monde et représenterait 42% de l'offre mondiale de pétrole", est-il expliqué dans ses analyses.
"La gestion du marché pétrolier restera du ressort de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole et des producteurs alliés (OPEP+). Mais à long terme, un groupe élargi des Brics pourrait être significatif pour les marchés de l'énergie", note le CSIS, alors qu'une quarantaine de pays ont manifesté leur intérêt pour rejoindre les Brics.
Pour l'instant, le premier pays producteur de pétrole demeure les Etats-Unis, avec 20,2 millions de barils produits chaque jour. Il est suivi par l'Arabie saoudite, la Russie le Canada et la Chine, selon les données fournies par l'Agence d'information sur l'énergie (lien archivé ici), agence fédérale chargée de la statistique au sein du département de l'Énergie des États-Unis :
... et 30% du PIB mondial
Certaines publications diffusées sur les réseaux sociaux soutiennent également que le nouveau groupe des Brics "représentera 30% du PIB mondial et dépassera les 30 000 milliards de dollars". Ces propos, eux, sont bien étayés par des données institutionnelles.
Le magazine Visual Capitalist prévoit (lien archivé ici) par exemple que le PIB combiné des 11 pays atteindra 30.800 milliards de dollars américains en 2023, soit un peu plus de 29% du PIB mondial total de 105.600 milliards de dollars américains, en se basant sur les données du Fonds monétaire international (FMI).
Publiquement, Washington a minimisé cet élargissement des Brics (lien archivé ici), se contentant de rappeler que les pays sont libres de choisir leurs partenaires. "Nous ne pensons pas que les Brics vont devenir une sorte de rival géopolitique pour les Etats-Unis ou qui que ce soit d'autre", a assuré Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche.
Mais, selon les experts, cette expansion montre que les pays cherchent une nouvelle façon de satisfaire certains de leurs besoins économiques ou sécuritaires. Les nations émergentes veulent "des alternatives, pas des remplacements" du système dominé par les Etats-Unis, analyse Sarang Shidore, du Quincy Institute.
"Le message envoyé à Washington, c'est que ces disparités font mal", ajoute-t-il. Les Etats-Unis commencent à prendre ces inquiétudes "au sérieux", selon M. Shidore. "Mais ce sont des discours, est-ce qu'ils sont accompagnés par des chèques?"
L'ajout aux Brics le plus inquiétant pour Washington est celui de l'Iran, qui voit son adhésion comme une façon de sortir de l'isolement international imposé par les Etats-Unis. Mais les nouveaux membres ne sont pas d'accord sur tout. Parmi eux, trois pays arabes (l'Egypte, l'Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis) entretiennent des rapports difficiles avec Téhéran
Les Brics ont toujours été une alliance hétéroclite, non épargnée par les tensions. La Chine a par exemple des relations complexes avec l'Inde, qui se rapproche des Etats-Unis tout en revendiquant son autonomie.
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