Attention à ces publications trompeuses sur le lien entre vaccination et rémunération des médecins


Attention à ces publications trompeuses sur le lien entre vaccination et rémunération des médecins

Publié le lundi 19 février 2024 à 15:10

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Une carte vitale sous un stéthoscope

(FRED TANNEAU / AFP)

Auteur(s)

Julie PACOREL / AFP France

Des négociations sont en cours entre l'Assurance maladie et les médecins généralistes sur la rémunération de ces derniers. Des extraits d'un document support de ces négociations, présentant des propositions de l'Assurance maladie, a été diffusé sur les réseaux sociaux. Des internautes les partagent, affirmant, commentaires trompeurs à l'appui, que les médecins seront désormais mieux payés s'ils prescrivent beaucoup de médicaments ou vaccinent beaucoup. Certes, la vaccination est un critère qui pourrait être pris en compte dans le calcul d'une partie de la rémunération des médecins, à savoir le "forfait médecin traitant", mais au même titre que d'autres critères.

Ceci n'est pas entièrement nouveau, car la vaccination contre la grippe figure déjà dans la liste de ces critères. D'autre part, ces changements dans la rémunération des médecins ne sont pas encore actés et font toujours l'objet de négociations. L'Assurance maladie préconise par ailleurs aux médecins "la sobriété des prescriptions" médicamenteuses.

"La rémunération des médecins serait liée à la consommation de soins de leurs patients. Plus un patient consommerait de médicaments, d’examens ou de vaccins, plus le médecin percevrait une rémunération élevée. #Bigpharma", publie sur X et Facebook le 13 février, le site Réseau international.

Ce blog habitué des infox (voir ici ou là) assure dans son article  qu'il s'agit d'"une dérive gravissime".

Un texte circule également depuis le 10 février contre cette modification de la rémunération des médecins, sur X mais aussi sur le réseau social russe VK. Il est notamment partagé par Myriam Palomba, chroniqueuse de l'émission de Cyril Hanouna dont l'AFP a déjà démystifié des propos trompeurs en 2022 notamment. Sur X, la publication de l'ancienne directrice de la rédaction de la revue Public est partagée plus de 4.000 fois: "Urgent et grave!!! L’assurance maladie est en train de conditionner le remboursement des forfaits aux médecins au statut vaccinal des patients. Plus vous serez vaxx plus le médecin sera payé ! C’est déontologiquement honteux car les médecins pousseront à la vaxx pour gagner plus d’argent et non pas en fonction de votre état de santé". Le texte dénonce ensuite la "dictature sanitaire" que veut instaurer le projet de loi discuté à l'Assemblée nationale et visant à sanctionner les dérives sectaires.

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Sur TikTok, des internautes aussi évoquent ce "forfait" du médecin traitant, mais sous un autre angle : dans cette vidéo de fin janvier, cette tiktokeuse assure que "le gouvernement veut qu'on paie nos médecins avec un forfait annuel et plus à l'acte".  Ce forfait, selon elle payé par les patients "serait de 64 euros à l'année". Les commentaires abondent: "la bonne question c'est à combien de consultations j'ai droit pour 64 euros/an", ou encore "et si on ne va pas chez le médecin, on paie leur forfait?". 

Un autre tiktokeur qui se présente comme médecin assure quant à lui dans une vidéo partagée plus de 25.000 fois que "le médecin ne sera plus du tout payé à l'acte".

Un changement encore incertain et qui n'aurait pas d'impact pour les patients

Le changement de rémunération des médecins que ces internautes dénoncent comme étant déjà en place n'est en fait pas du tout acté. Il s'agit de propositions de l'Assurance maladie, dans le cadre d'une négociation multilatérale avec différentes organisations syndicales. Ces négociations doivent reprendre en mars et n'ont pas de date butoir.

Contrairement à ce qu'affirment les tiktokeurs repérés par AFP Factuel, il n'est pas question de ne plus payer les médecins à l'acte, c'est-à-dire à chaque consultation. Ce forfait de 64 euros annuel évoqué sur le réseau social est en fait une expérimentation, appelée Peps (paiement en équipe de professionnels de santé) menée depuis 2018 pour des praticiens travaillant à plusieurs "afin d'encourager la mutualisation", selon Jean-Christophe Nogrette, médecin généraliste et président du syndicat MG France.

"La somme de 64 euros par an c'est vraiment pour un patient sans aucune pathologie lourde ni facteur d'âge ni rien", insiste-t-il. Ce montant est un forfait, donc serait inchangé selon que le patient consulte une fois ou dix fois dans l'année dans le cabinet. D'autre part, ce ne sont pas les patients qui verseraient ce forfait à leur médecin, mais bien l'Assurance maladie, confirme M. Nogrette. Le président de MG France rappelle que dans les négociations en cours, le paiement par équipe prendra "certainement la forme d'une option" que pourront choisir certains médecins, notamment dans des centres de santé composés uniquement de généralistes. 

Une fusion de trois forfaits déjà existants

Pour l'immense majorité des médecins généralistes, qui travaillent seuls, l'Assurance maladie propose aux organisations syndicales, en plus du prix de la consultation, de leur rembourser une somme supplémentaire, annuellement, en fonction de la part de leur patientèle pour laquelle ils sont "médecin traitant" (archive).

Ce "forfait médecin traitant intégral", comme le nomme l'Assurance maladie, vise à revaloriser financièrement le rôle du médecin traitant, dont près de 7 millions de Français sont aujourd'hui privés, et particulièrement la prise en charge des patients âgés, atteints d'affections longue durée (ALD) ou les très jeunes enfants. 

"Il n'y a rien de vraiment nouveau", commente auprès de l'AFP le Dr Nogrette, "il s’agit de fusionner trois forfaits existants". En effet selon ce document support des négociations, publié le 8 février (archive), ce forfait intégral viendrait remplacer  le forfait patientèle médecin traitant (archive), le forfait structure, pour moderniser les cabinets (archive) et la Rosp, rémunération sur objectifs de santé publique (archive).

Ce système de rémunération établissait déjà une différenciation selon le profil des patients: une consultation pour une personne âgée atteinte d'une pathologie chronique, ou d'un nourrisson de moins de deux ans, prenant plus de temps au médecin qu'un patient adulte sans problème particulier, comme on peut le voir sur la capture d'écran ci-dessous:

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Source ameli.fr

 

D'autre part, la "Rosp" établit une liste de 29 indicateurs de prévention, comme le dépistage de cancers, mais aussi déjà, la vaccination contre la grippe pour les personnes âgées de plus de 65 ans.

Dans la nouvelle proposition de l'Assurance maladie, "l'idée c'est de mieux indemniser les actes de prévention, comme le fait de prescrire des examens de dépistage ou des vaccins", explique M. Nogrette.

Le blog Réseau international écrit que "cette approche suscite des inquiétudes légitimes quant à la transformation des médecins en agents de promotion de la vaccination, au détriment de leur rôle traditionnel de soignant".

Pour le président de MG France, au contraire, "c'est notre rôle de généralistes d'aider à prévenir les épidémies quand même", rappelant qu'avec la proposition de l'Assurance maladie "on ne diminue pas la rémunération pour ceux qui ne sont pas vaccinés, on majore celle des autres". 

Six vaccins retenus dans le nouveau forfait

Dans la proposition de l'Assurance maladie, le forfait des médecins traitants sera valorisé pour d'autres vaccins que celui de la grippe, comme le montre le tableau ci-dessous.

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source ameli.fr

 

Pour les personnes de plus de 65 ans ou en ALD, la prescription de vaccins contre la grippe et le Covid sera intégrée au forfait, de même que le vaccin pneumocoque pour les personnes adultes en ALD, et les vaccins ROR (rougeole), méningocoque C et HPV pour les enfants.

Chaque patient vacciné augmentera le forfait médecin traitant de 5 euros par an, pas de quoi, selon M. Nogrette "changer quoi que ce soit à la prise en charge". "Personne ne sera obligé de se faire vacciner", insiste-t-il.

La présidente du syndicat FMF (Fédération des médecins de France), Patricia Lefébure, contactée par AFP Factuel le 15 février, abonde: "On ne se dit pas je vais prendre tel ou tel patient parce que ça va rapporter plus", assure-t-elle. "On peut recommander le vaccin mais on n’est pas là pour convaincre les gens à tout prix, ils gardent leur liberté".

Des internautes relayant des informations trompeuses sur ces négociations en cours assurent aussi qu'elles seraient dans l'intérêt de l'industrie pharmaceutique puisque les médecins seraient poussés à prescrire "plus de médicaments". 

C'est faux: l'Assurance maladie propose au contraire de récompenser la "sobriété des prescriptions". Elle incite notamment à réduire les prescriptions inutiles d'IPP (inhibiteurs de la pompe à protons, pour réduire l'acidité gastrique), mais aussi "les actes d'imagerie redondants", ou encore les AINS (anti-inflammatoires non stéroïdiens).

Depuis le début de la crise Covid, de nombreuses infox ont affirmé à tort que les personnes non-vaccinées seraient moins bien soignées que les autres, ou qu'elles seraient fichées.

16 février 2024Ajoute nom de la présidente du syndicat FMF

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