Attention aux publications qui présentent le traitement anti-bronchiolite Beyfortus comme "toxique" pour les bébés


Attention aux publications qui présentent le traitement anti-bronchiolite Beyfortus comme "toxique" pour les bébés

Publié le jeudi 21 septembre 2023 à 12:25

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(ALAIN JOCARD / AFP)

Auteur(s)

AFP France

La bronchiolite du nourrisson, aux symptômes respiratoires très impressionnants, est une maladie bénigne dans la grande majorité des cas mais les bébés les plus fragiles peuvent développer des formes graves. Un nouveau traitement préventif, le Beyfortus, est la cible de publications trompeuses sur les réseaux sociaux, qui l'accusent de faire courir un danger de mort aux bébés. Mais dans l'état actuel des connaissances, le traitement est considéré comme sûr et c'est sur cette base qu'il a été autorisé, ont expliqué autorités de santé et médecins. Les parents sont libres de le faire administrer ou non à leur enfant. Son efficacité à réduire le nombre d'hospitalisations, est en revanche, quant à elle, à ce jour considérée comme limitée.

"Ah ben - un p'tit nouveau [vaccin] et juste pour les bébés - WHAT CAN GO WRONG?", se demandent ironiquement sur Facebook des centaines internautes partageant le même texte: "Jamais on a autant entendu parlé du virus respiratoire syncytial et jamais on a eu autant de cas que lors de sa dernière vague l'an passé et hop là, voilà que pour la 1ère fois, nos p'tits bébés tout fragiles pourront avoir une injection pour contrer le danger".

Sur X aussi (anciennement Twitter), la méfiance est de mise: "Surveillez les nouveau-nés à la maternité! Injection d'anticorps monoclonal contre bronchiolite", met en garde le 3 septembre  la biologiste Hélène Banoun, critique régulière de la gestion de la crise Covid notamment. "Pourquoi vacciner à la naissance? Pour masquer les effets indésirables", continue-t-elle dans un thread partagé plus de 1.000 fois.

Toujours sur X, d'autres reprennent les arguments de la biologiste et s'affolent, le 16 septembre: "ALERTE ROUGE POUR LES PARENTS !! DANGER POUR LES BÉBÉS !! SURVEILLEZ LES NOUVEAUX-NÉS DANS LES MATERNITÉS !!".

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Capture d'écran de Facebook faite le 19 septembre

 

Leur cible: le nirsevimab (archive), un traitement préventif de la bronchiolite du nourrisson injectable, commercialisé par Sanofi sous le nom de Beyfortus à partir du 15 septembre en France et recommandé (archive ici) pour tous les nouveau-nés par le gouvernement.

Selon de nombreux internautes, ce traitement serait "dangereux" et "inefficace".

Qu'est-ce que la bronchiolite du nourrisson?

La bronchiolite est une infection virale, très contagieuse, qui touche principalement les très jeunes enfants, de moins de deux ans. Comme son nom l'indique, elle touche les bronchioles, les petites bronches, et entraîne des symptômes pouvant être impressionnants chez un bébé: toux persistante, respiration sifflante... 

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Capture d'écran sur site ameli.fr faite le 19 septembre 2023

 

Comme le rappelle l'Assurance maladie (archive), la bronchiolite est due la plupart du temps au virus respiratoire syncytial (VRS), qui circule d'octobre à février. Si dans la plupart des cas la maladie est bénigne, certains nourrissons font une forme plus grave de la bronchiolite nécessitant une hospitalisation.

Chaque année en France, 30 % des petits de moins de 2 ans sont atteints, selon l'Assurance maladie.

Avant 2020, a expliqué SPF lors d'une conférence de presse organisée par le ministère de la Santé le 19 septembre, les épidémies saisonnières de bronchiolite étaient "d’une grande régularité", mais depuis deux ans le système de santé fait face à "une épidémie précoce et prolongée très intense toute la saison".

L'hiver 2022-2023 a ainsi vu 73.000 passages aux urgences et plus de 26.000 hospitalisations pour des bronchiolites, soit 2 à 3% de l'ensemble des nourrissons.

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Les passages aux urgences et hospitalisations pour bronchiolite en France, capture d'écran du site de SPF le 18 septembre

 

"C'est un problème de santé publique récurrent, mais pas tous les ans à la même intensité, l'année dernière c'était un 'carnage", a expliqué à l'AFP le 8 septembre le Pr Robert Cohen, pédiatre et infectiologue à Créteil. "Les services d’urgence et les lits pédiatriques se sont trouvés en grande difficulté", se souvient-il.  

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La mortalité liée à la bronchiolite est heureusement très faible, avec un taux de 0,08% de l'ensemble des cas selon SPF en 2009 (archive ici), soit 22 nourrissons en France cette année-là.

Le Beyfortus, un traitement préventif gratuit et non obligatoire

Contrairement à ce qu'affirment les publications que nous examinons, le nirsevimab (Beyfortus) n'est pas un vaccin, même s'il est injectable, mais un traitement préventif empêchant le virus à l’origine de la bronchiolite, le VRS, d’infecter l’organisme. 

Comme le précise le ministère de la santé (archive), "il repose sur la technologie des anticorps, c’est-à-dire que l’on donne à l’organisme les outils pour se défendre, et est efficace sur plusieurs mois (à la différence de la vaccination qui présente la maladie à l’organisme pour l’entraîner à se défendre seul)".

Avant l'autorisation de mise sur le marché du nirsevimab, un autre traitement préventif de la bronchiolite était autorisé en France, mais très peu prescrit car très contraignant (une injection par mois) et coûteux, le palivizumab (archive), commercialisé sous le nom de Synagis, et réservé aux nourrissons les plus à risque.

Depuis le 15 septembre, Beyfortus est proposé en maternité, et peut aussi "être délivré sans facturation aux patients, sur ordonnance, en établissement de santé et en pharmacie de ville", selon le ministère. Mais contrairement à ce que laissent entendre des internautes qui recommandent de "surveiller les bébés" dans les maternités, ou encore, comme celui-ci, qui assure que "les bébés seront piqués avant leur sortie de maternité", il ne peut être administré sans l'accord des parents et  n'est en aucun cas obligatoire.

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Un bébé vacciné par un médecin

AFP

 

Des décès pas liés au traitement selon la FDA

Dans ses messages sur X, la biologiste Hélène Banoun met en avant ces chiffres : la "FDA [l'agence du médicament américaine, NDLR] a enregistré 12 décès dans les essais de Beyfortus : 4 décès cardiaques, 2 gastro-entérites, 2 morts subites, 1 cancer, 1 Covid, 1 fracture, 1 pneumonie, mais aucun décès n'a été relié au traitement", qualifiant dans un autre tweet le traitement de "toxique".

Pour tout vaccin ou médicament, des remontées d'"effets indésirables suspectés" font état de tout événement de santé succédant à la prise du comprimé ou à la vaccination mais ne ne disent rien d'un éventuel lien de causalité entre cet événement (un décès par exemple) et le produit.

Dans ce document (archive) sur le Beyfortus, la FDA fait en effet mention de onze décès chez des bébés ayant reçu l'injection de nirsevimab et un ayant reçu l'injection de palivizumab. Mais selon la FDA, "aucun de ces décès n'a été considéré comme étant lié à l'injection ou au VRS" et ont été causés par des gastro-entérites, des méningites ou encore un accident de la route.

L'agence note aussi que dans un des essais, réalisé avec des nourrissons prématurés ou souffrant de pathologies pulmonaires chroniques, "les bébés décédés souffraient tous de maladies graves avant la vaccination".

Dans son communiqué de presse (archive) annonçant l'approbation du Beyfortus, la FDA décrit les effets secondaires suivants: "des éruptions cutanées et des réactions au site d'injection".

L'agence américaine met aussi en garde:  "Beyfortus doit être administré avec prudence aux nourrissons et aux enfants présentant des troubles hémorragiques cliniquement significatifs". 

Une "surveillance renforcée" après la mise sur le marché

En France, la Haute autorité de santé (archive) a en plus des premières études fournies par le laboratoire analysé les résultats de l'essai clinique Harmonie, qui a porté sur plus de 8.000 bébés. Lors de cet essai, la HAS a noté que "les effets indésirables graves ont été plus fréquents dans le groupe nirsévimab [par rapport au groupe 'placebo', NDLR]: au site d’injection (érythème, gonflement, urticaire), fièvre, infections des voies respiratoires supérieures", mais aucun décès n’a été rapporté. 

Le professeur Cohen rappelle que le Synagis, utilisé depuis 20 ans pour prévenir la bronchiolite chez les bébés à risque, a un "principe de tolérance très bon, et Beyfortus fonctionne avec le même principe, des anticorps monoclonaux", explique-t-il, ajoutant que le seul changement est "le site, c'est-à-dire sur quelle partie du virus ils agissent, et surtout ils ont trouvé un système pour prolonger l'action".

Lui qui a participé à un des essais cliniques du Beyfortus, assure que "sur une dizaine de milliers de bébés immunisés, on n'a rien vu, pas de différence de mortalité. Est-ce qu'à 100.000 [enfants à qui on administre le traitement, NDLR] on pourra voir quelque chose? c'est possible, mais ça reste toujours inférieur à l'efficacité du produit".

Lors de la conférence de presse le 19 septembre, la Pr Christelle Gras-Le Guen, qui participe à la campagne du gouvernement, a rappelé l'absence de "signaux inquiétants des 10.000 patients inclus dans les trois essais", mais aussi "les 30 ans d’expérience avec le cousin germain qu'est le Synagis".

Le ministère a aussi insisté sur la mise en place d'une "surveillance renforcée" des effets secondaires du Beyfortus dans les mois suivant sa commercialisation.

Une efficacité qui reste à démontrer en vie réelle

Le gouvernement a lancé une campagne de communication en septembre en grande pompe autour de la bronchiolite, le ministre de la santé en faisant "un des grands enjeux de la rentrée" et mettant l'accent sur les "gestes simples" comme le lavage de mains pour éviter la transmission, et saluant Beyfortus comme une "avancée majeure", grâce à laquelle il espère éviter la crise vécue par l'hôpital l'hiver dernier, en pleine triple épidémie: grippe, Covid et bronchiolite.

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Affiche de Santé publique France, capture d'acran du site sante.gouv.fr le 19 septembre

 

Le Pr Cohen partage les mêmes espoirs que le ministre Aurélien Rousseau, estimant que "si on loupe cette campagne de vaccination, rien ne changera pour les hôpitaux".

Pourtant, cet enthousiasme autour du traitement préventif n'est pas unanime, et même au niveau des autorités de santé, comme le montre cet article (archive) qui résume l'état des connaissances sur le nirvesimab sur le site du dictionnaire médical Vidal, aux conclusions bien plus nuancées.

Il relaie notamment l'avis de la Direction générale de la santé, qui estime prudemment au conditionnel, en juillet, que le nirsévimab  "pourrait permettre d’étendre la prévention des formes graves de la bronchiolite à VRS, via une seule injection, à l’ensemble des enfants vivant leur première saison de circulation du VRS".

Son auteur, une pédiatre et professeure honoraire de Pharmacologie clinique, estime aussi nécessaire "la surveillance de la tolérance de BEYFORTUS en post-AMM [après l'autorisation de mise sur le marché, NDLR], c’est-à-dire en population large (...) comme pour tout nouveau médicament, mais aussi en raison de certains effets indésirables d’intérêt particulier ayant eu tendance, dans les essais d’efficacité, à être plus nombreux avec le nirsévimab qu’avec le placebo". 

Sur les réseaux sociaux, les pourfendeurs du traitement préventif assurent d'ailleurs que les autorités de santé partagent leurs doutes: le 14 septembre, Hélène Banoun tweete de nouveau à ce sujet: "D'après la HAS : ce médicament est peu efficace et toxique".

Mais la HAS ne juge pas le Beyfortus "toxique" : elle estime dans son avis favorable (archive) au remboursement publié en août que le  profil de tolérance du nirsévimab est "acceptable".

En revanche, sur l'efficacité, l'avis est effectivement assez prudent: la HAS juge que le "service médical rendu" par Beyfortus dans la prévention des infections nécessitant une hospitalisation est "faible" chez les nouveau-nés et les nourrissons à risque élevé d’infection à VRS et "modéré" chez les autres bébés.

Hélène Banoun assure aussi que Beyfortus ne réduit que "de 3,8% le risque absolu de faire une bronchiolite  et de 1% le risque absolu de d’hospitalisation suite à  une bronchiolite dans les mois suivant la naissance" alors que le laboratoire estime à environ 75% (en moyenne des différents essais menés) la réduction des infections respiratoires avec son traitement préventif.

Pour le Pr Rémy Boussageon, spécialiste en médecine générale interrogé par l'AFP le 18 septembre, "les deux sont vrais et faux à la fois, c'est la différence entre la réduction d'un risque relatif et la réduction d'un risque absolu". "Si vous avez 1% de nourrissons hospitalisés et que le médicament réduit de 50% ce risque de 1%, le risque d'être hospitalisé va passer de 1% à un 1 pour deux cents. Donc la diminution d'un risque relatif de 50% c'est énorme, mais en valeur absolue c'est beaucoup moins impressionnant", développe-t-il.

Pour la réduction des hospitalisations, effectivement, le Vidal conclut que "la supériorité du nirsévimab par rapport au placebo n’a pas été démontrée sur le plan statistique en termes de réduction de l’incidence des hospitalisations liées à une infection des voies respiratoires".

Même son de cloche du côté de la revue professionnelle médicale Prescrire (archive) pour qui "chez les nourrissons à risque d'une forme grave, le nirsévimab diminue le risque d'hospitalisation, sans effet démontré sur la mortalité" mais chez les nourrissons nés à terme et en bonne santé, qui développent rarement des formes graves d'infection par le VRS, "l'intérêt du nirvesimab est moins évident".

"C'est un produit prometteur mais dont l'efficacité reste à prouver", résume le Pr Boussageon, qui critique notamment le dernier essai sur le Beyfortus, Harmonie, réalisé en "ouvert" et non "en double aveugle", "c'est-à-dire que les parents savaient si leur enfant avait été immunisé ou non, ce qui influe énormément sur les résultats, notamment sur une maladie très angoissante pour les parents comme la bronchiolite du nourrisson".

Pour le ministère de la Santé, interrogé par l'AFP lors du point presse du 19 septembre: "On dispose de trois essais cliniques (archive) extrêmement prometteurs mais conduits dans des pays différents avec des enfants aux profils différents donc il est essentiel qu’on puisse mesurer cet hiver l’impact de cette campagne sur la fréquentation des services hospitaliers mais aussi sur la qualité de vie des familles", rappelant que "face à un bébé malade, les jeunes parents souhaitent avoir des solutions".

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