Canicule : non ces cartes ne montrent pas que les médias veulent faire "peur" en 2022
Publié le jeudi 21 juillet 2022 à 10:27
(AFP)
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Marie GENRIES, Lucie LEQUIER, AFP France, AFP Belgique
Deux cartes, censées prouver que les médias veulent intentionnellement faire "peur" au sujet de la canicule en 2022, ont été partagées plusieurs milliers de fois sur les réseaux sociaux depuis le 15 juillet. A une carte, bien réelle, des températures en France le 17 juillet 2022, des internautes opposent une prétendue prévision météo comparable en 2002, sous-entendant que les médias exagèrent à dessein leur couverture des chaleurs extrêmes cet été. Problème, cette carte date en réalité de 2019, et les autorités et médias alertaient déjà il y a 20 ans des conséquences potentiellement désastreuses du changement climatique, notamment sur les températures.
"20 ans entre ces deux cartes… A l’époque , ils faisaient probablement moins de bourrage de crânes… vivre dans la peur, dans la crainte du lendemain… les médias font un véritable travail psychologique sur la population… et ça marche pas trop mal", affirment des internautes dans des posts Facebook viraux.
"Ce qui aujourd'hui est une catastrophe climatique était en 2002 une belle journée d'été…", déplore un autre post.
Capture d'écran Facebook du 19 juillet 2022
Capture d'écran Facebook du 19 juillet 2022
La première carte, aux tons jaune-orangés, est censée dater du 13 juillet 2002 d’après la légende. La seconde, rouge vif, est présentée comme une prévision météo du 15 juillet 2022, pour le dimanche 17.
La publication circule aussi sur Twitter, et a été reprise sur Instagram, notamment par un influenceur suivi par 6,4 millions de personnes sur le réseau social.
Capture d'écran Twitter du 19 juillet 2022
Capture d'écran Instagram du 19 juillet 2022
Une carte datée de 2019
La première carte n'a pas été diffusée le 13 juillet 2002, contrairement à ce que ces publications affirment. A titre d'exemple, les 13 et 14 et 15 juillet 2002 à Nîmes, les maximales ne dépassaient pas les 27,9°C, d'après des relevés de l'époque, loin des 45 degrés présentés sur la carte, comme l'a également démontré le compte Twitter de vérification Defakator.
En essayant de retrouver la trace d'un pic de température de 45 degrés à Nîmes, on retombe en revanche sur des prévisions météo du 27 juin 2019, diffusées sur TF1, qui annonçaient le temps pour le lendemain. La carte, qui correspond exactement à la carte du haut dans les publications qui nous intéressent, a également été diffusée sur Twitter par la chaîne LCI.
Capture d'écran Twitter du 19 juillet 2022
Quant à la seconde carte, on la retrouve bien dans un bulletin météo du 15 juillet 2022, diffusé par RMC sur sa chaîne YouTube. Le bandeau, annonçant le résultat de l'épreuve du Tour de France, correspond également. Le bulletin annonce le dimanche 17 juillet 2022, alors que de très fortes chaleurs étaient étaient attendues.
Capture d'écran de YouTube du 19 juillet 2022, de la météo du 15 juillet 2022
Ces cartes ne comparent donc pas deux situations à 20 ans, mais plutôt à 3 ans d'écart.
Impossible de comparer des cartes aux habillages différents
Les habillages graphiques sur les deux chaînes ne sont pas les mêmes, l'une est rouge vif, l'autre présente un dégradé de jaune et de orange. Un autre argument qui a fait dire à certaines personnes que les médias avaient volontairement rendu leurs couleurs plus anxiogènes avec le temps.
Toutefois, comme nous l'avions montré dans un précédent article de vérification sur un autre visuel de TF1, chaque chaîne a son propre code couleur. Et on ne peut donc pas les comparer l'une à l'autre.
Pour TF1 par exemple, l'accent est mis sur la lisibilité de la carte avec une palette de neuf couleurs. Ces variations de coloris visent à faire ressortir l’écart éventuel de chaque température de la carte avec les moyennes de saison, mises à jour par Météo-France tous les dix jours. "L'idée, c'est que le téléspectateur comprenne tout de suite s'il est dans une température normale, dans une température plus élevée ou dans une température plus froide que ce qu'il devrait normalement avoir pour la saison", avait expliqué à l’AFP la cheffe du service météo de la chaîne, Evelyne Dhéliat.
Par exemple, la carte météo du bulletin de TF1 du 17 juillet 2022, journée où les normales de saison étaient supérieures dans de nombreuses villes de France, apparait ici dans le même code couleur orangé, et jaune pâle sur la pointe de la Manche. Ci-dessous une comparaison entre la carte diffusées dans les publications que nous vérifions, datée de juin 2019 donc, et celle diffusée sur TF1 le 17 juillet 2022.
Capture d'écran Twitter les prévisions météo de TF1 pour le 28 juin 2019
Capture d'écran Twitter les prévisions météo de TF1 pour le 17 juillet 2022
Sur BFMTV/RMC, le dégradé de couleurs oscille entre le rouge et le bleu, mais de façon plus unie. "BFMTV règle toute sa gamme de températures de manière assez unie, commentait auprès de l’AFP en juin dernier Emmanuel Bocrie, responsable de l'unité Média de Météo-France. Les cartes vont avoir un dégradé de couleurs pour les températures moyennes et quand on arrive aux extrêmes, elles restent dans la même couleur. On n'est quasiment que dans du rouge, on distingue mal la nuance entre le 28 et le 38."
Il arrive ainsi que la carte affiche du rouge même en décembre, lorsque les températures sont au-dessus des moyennes. C'était par exemple le cas dans le bulletin météo diffusé par la chaîne le 22 décembre 2020.
Capture d'écran réalisée sur le site de BFMTV montrant la météo du 22 décembre 2020
Les médias et la canicule
L'épisode de fortes chaleurs qu'a connu la France à l'été 2019 était déjà présenté comme exceptionnel par Météo France et de nombreux médias.
"L'été 2019 a été marqué par deux vagues de chaleur assez courtes (6 jours) mais d'une intensité record pour un mois de juin pour la première et record tous mois confondus ex æquo avec celle d'août 2003 pour la seconde”, notait Météo France sur son site. Le 28 juin 2019 en particulier, un record absolu de chaleur national avait été battu avec 46°C à Vérargues dans l’Hérault, précise encore l’agence météo, qui ajoute qu'avant fin juin la vigilance rouge canicule n'avait pas été utilisée depuis sa création en 2004.
Les journaux télévisions de deux premières chaînes font de la canicule leur ouverture. "Tout d’abord cette actualité brûlante au sens propre : jamais il n’avait fait aussi chaud en France", annonce Anne-Claire Coudray au JT de 20h sur TF1 le 28 juin 2019, et les deux premiers titres sont consacrés aux fortes chaleurs et aux dangers des bouches-à-incendies utilisées pour se rafraîchir. Sur France 2, le présentateur Laurent Delahousse lançait le même jour son JT du soir en parlant des "records historiques de températures" battus en France. Les deux premiers sujets étaient dédiés aux incendies dans le Gard provoqués par la chaleur, et aux conséquences de celle-ci sur le corps humain.
Capture d'écran du JT de TF1 du 28 juin 2019, prise le 19 juillet 2022
Capture d'écran du JT de France 2 du 28 juin 2019, prise le 19 juillet 2022
La presse en avait aussi largement fait écho. Les Décodeurs du Monde avaient élaboré un tableau des records absolus de chaleur ville par ville dès le 25 juin. "Le mercure s'affole" écrivait de son côté France 3 Régions sur son site, dans un article à propos des records de chaleurs dans le Gard. "Attention, danger", prévenait Ouest France dans un article le 28 juin, avant de développer sur la canicule qui poussait alors la SNCF à proposer de rembourser ou échanger gratuitement les billets, et semblait menacer la tenue de matches de la Coupe du monde de football féminin.
Tous ces médias utilisent le terme de canicule, et aucun n’en minimise l’ampleur, loin de traiter cette journée comme une "belle journée d’été" contrairement à ce que laissent entendre certains posts.
Et pour 2002, l'année qui était supposée correspondre à la première carte ? Elle avait été "l'année de tous les dérèglements climatiques", alertait déjà Les Echos en janvier 2003. "Les données provisoires publiées par la National Oceanic and Atmospheric Administration (Noaa) américaine confirment donc la réalité de l'accélération du "réchauffement global" mis en évidence ces dix dernières années", disait l'article. Fin 2002, La Dépêche du Midi reprenait aussi les chiffres du rapport de l'Organisation météorologique mondiale (OMM) selon lesquels l'année 2002 aura été "la deuxième année la plus chaude depuis près d'un siècle et demi".
Quant à l'AFP, voici ce qu'elle écrivait dans une dépêche du 1er juillet 2002 : "Deux degrés: c'est l'impact moyen pour la France d'ici 2100 du changement climatique causé par les émissions de gaz à effet de serre. Deux petits degrés qui peuvent avoir des 'conséquences inquiétantes', souligne l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques dans un rapport".
"En 2025, les effets du changement climatique seront visibles pour l'homme, mais 'l'impact sera sans doute irréversible ou difficilement réversible', soulignent les parlementaires. 'Il restera à déplorer qu'une action n'ait pas été entamée bien des années plus tôt alors que l'alerte avait été donnée'", écrivions-nous dans notre dépêche. Dès le 22 juin, nous alertions également sur un "record de chaleur" à l'époque à Tarascon, dans les Bouches-du-Rhône.
Capture d'écran d'une dépêche AFP diffusée le 1er juillet 2002
Des canicules à répétition, marqueurs du réchauffement climatique
La multiplication des canicules comme celle qui s'abat actuellement sur une bonne partie de l'Europe occidentale ou celle qui a frappé l'Inde en mars-avril est un signe indubitable du changement climatique, expliquent les scientifiques.
"Chaque vague de chaleur que nous connaissons a été rendue plus chaude et plus fréquente en raison du changement climatique causé par l'Homme", résume Friederike Otto, du Grantham Institute à l'Imperial College de Londres.
"C'est de la physique pure: nous savons comment se comportent les molécules de gaz à effet de serre, nous savons qu'il y en a plus dans l'atmosphère, que l'atmosphère se réchauffe, ce qui signifie que nous nous attendons à voir des canicules plus fréquentes et plus chaudes et des vagues de froid moins fréquentes et plus douces", a expliqué lors d'un briefing en ligne cette spécialiste de "l'attribution" des événements extrêmes au changement climatique.
Graphique AFP publié le 27 juin 2022 montrant les épisodes rendus plus intenses par le changement climatique en 2021
Et ça n'est pas fini. Selon les experts de l'ONU, les canicules extrêmes auraient déjà 4,1 fois plus de "chances" d'intervenir à +1,5°C de réchauffement moyen de la planète par rapport à l'ère pré-industrielle, ce qui est l'objectif le plus ambitieux de l'accord de Paris de 2015.
Elle seraient 5,6 fois plus probables à +2C° et 9,4 fois plus à +4°C. Pour les pics de chaleur encore plus intenses et plus rares, les chiffres passent à 8,6 fois plus à +1,5°C, 13,9 fois à +2°C et... 39,2 fois à +4°C. Or la planète a gagné près de 1,2°C environ depuis la révolution industrielle et, selon l'ONU, les engagements actuels des États, s'ils étaient respectés, mèneraient vers un réchauffement "catastrophique" de +2,7°C.
Le cycle climatique s'en trouve déjà ainsi profondément modifié, comme le souligne Matthieu Sorel, climatologue à Météo-France, qui relève que les canicules qui se multiplient dans le pays -déjà deux cette année - seraient moins intenses de 1,5°C à 3°C sans l'effet du changement climatique. "Nous allons vers des étés de plus en plus chauds, où 35°C devient la norme et 40°C à être régulièrement atteint".
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