Cette photo ne montre pas une livraison russe par avion cargo à Ouagadougou le 12 février
Cette photo ne montre pas une livraison russe par avion cargo à Ouagadougou le 12 février
Publié le mercredi 22 février 2023 à 15:53
(AFP)
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Rossen BOSSEV, Marin LEFEVRE
La photo d'un avion cargo est très partagée sur Facebook depuis le 12 février, notamment au Burkina Faso. Selon les internautes qui la diffusent, elle montre le déchargement d'un "cargo russe" à Ouagadougou ce même jour. Mais cette image n'a rien à voir. Elle était déjà en ligne l'an dernier, en février 2022. De plus, les données de suivi du trafic aérien permettent de constater que le dernier vol de l'appareil en question remonte à la même époque. Cette image est utilisée par des internautes pour alimenter la rumeur d'une livraison d'armes russes au Burkina, auquel Moscou a récemment proposé son "assistance" pour faire face à une multiplication des violences jihadistes depuis plusieurs mois.
"Le cargo russe ANATOV 125 vient de se poser aujourd'hui 12 février encore à l'aéroport international de Ouagadougou", affirme la page Facebook "Ghozor TV officiel", partageant un cliché de mauvaise qualité d'un avion cargo blanc et bleu posé sur un tarmac ensoleillé.
"Du lourd en téléchargement", ajoute l'administrateur de cette page, sous-entendant qu'une livraison d'armes russes a eu lieu ce même jour au bénéfice du Burkina Faso.
Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 20 février 2023
Cette publication a été partagée près de 1.000 fois depuis le 12 février. Dans les commentaires, de nombreux internautes se réjouissent de cette prétendue livraison russe : "La Russie est un partenaire sur lequel le Burkina peut compter", croit comprendre l'un d'entre eux, tandis qu'un autre espère que "la Russie soit la solution" pour lutter contre l'insécurité dans ce pays.
Un dernier se félicite d'observer de "la coopération" plutôt que "de la colonisation".
Captures d'écran de commentaires sur Facebook, réalisées le 20 février 2023
Ensanglanté par les violences jihadistes tout comme son voisin malien, le Burkina Faso a annoncé le 19 février la fin des opérations de la force française Sabre dans le pays, quelques semaines après la dénonciation par le gouvernement de transition des accords de défense liant les deux pays dont les relations se sont dégradées ces derniers mois.
La lutte anti-jihadiste dans les pays du Sahel était l'une des missions principales de la force Sabre basée au Burkina Faso, cible d'attaques croissantes de groupes liés à Al-Qaïda et l'Etat islamique depuis 2015 et théâtre de deux coups d'Etat en 2022, le dernier ayant porté le capitaine Ibrahim Traoré au pouvoir en septembre.
Les violences y ont fait plus de 12.000 morts - civils et militaires - selon l'ONG Acled, qui recense les victimes de conflits dans le monde, et quelque deux millions de personnes sont déplacées à l'intérieur du pays.
Le 17 février encore, au moins 51 soldats ont été tués lors d'une embuscade tendue par des jihadistes présumés entre Deou et Orsi dans le nord du pays, selon un "bilan provisoire" publié par l'armée burkinabè trois jours plus tard.
Le 21, au moins une quinzaine de soldats ont été tués dans une nouvelle attaque près du Mali, selon des sources sécuritaires.
Carte du Burkina Faso montrant les villes touchées par les plus importantes attaques jihadistes depuis 2015 (AFP / PAZ PIZARRO, SYLVIE HUSSON, EMMANUELLE MICHEL)
Le gouvernement burkinabè avait dit vouloir "diversifier ses partenaires" dans la lutte antijihadiste. Le Premier ministre Apollinaire Kyélem de Tambéla s'était discrètement rendu en Russie en décembre dernier. Le 7 février, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a promis l'aide de Moscou aux pays du Sahel et du Golfe de Guinée face aux jihadistes, et laissé présager une implication accrue en Afrique, confrontée selon lui aux "instincts néocoloniaux" des Occidentaux.
Photo publiée en 2022
Or, la photo partagée par les internautes n'a pas pu être prise lors d'une éventuelle livraison russe à l'aéroport international de Ouagadougou le 12 février, puisqu'elle apparaissait déjà en ligne près d'un an auparavant, en fin février 2022.
Une recherche d'image inversée permet en effet de la retrouver en tête d'un article intitulé "Ukraine : la Russie va mettre la main sur le parc d'Antonov An-124", publié fin février 2022 sur Air&Cosmos, un site francophone d'actualité aéronautique et spatiale. Contacté le 21 février, le rédacteur-en-chef d'Air&Cosmos Yann Cochennec a confirmé que l'image datait d'avant février 2022 sans pour autant être en mesure de préciser à l'AFP sa provenance ou sa date exacte de prise de vue.
L'Antonov 124-100 (et non "ANATOV 125" comme l'écrivent les internautes), deuxième plus gros avion au monde après l'Airbus A380 et capable de transporter jusqu'à 150 tonnes, est fabriqué par l'entreprise ukrainienne éponyme, selon cette brochure archivée de l'entreprise.
La compagnie qui opère celui qui apparaît sur l'image que nous vérifions est Volga-Dnepr, une compagnie aérienne russe spécialisée dans le transport cargo, comme cela apparaît clairement sur la photo publiée par Air&Cosmos. De même, on distingue le numéro de l'appareil : RA-82046.
Le logo de la compagnié aérienne est indiqué en rouge; le numéro de l'appareil en bleu
Sur plusieurs sites de suivi du trafic aérien comme Flight Aware et AirNav Radar Box, on peut aisément retrouver les informations liées à cet appareil : selon ces sites, son dernier vol remonte au 23 février 2022. Il a effectué un court trajet d'une quarantaine de minutes à cette date de la ville de Nuremberg à celle de Leipzig, en Allemagne. Aucun autre vol n'a été recensé depuis.
Ce que corrobore un autre site de suivi du trafic aérien, FlightRadar24, qui n'a recensé aucun nouveau vol pour cet appareil depuis au moins 90 jours, selon les données auxquelles l'AFP a pu accéder.
Capture d'écran du site Flight Aware, réalisée le 20 février 2023
Capture d'écran du site Radar Box, réalisée le 20 février 2023
Par ailleurs, l'AFP a pu consulter grâce à ce dernier site les données de navigation des 26 Antonov An-124 en activité commerciale utilisés par des opérateurs russes : 11 d'entre eux sont opérés par la compagnie aérienne Volga-Dnepr, dont les couleurs ornent les flancs de l'appareil visible dans la photo virale, et 15 le sont par la Russie, notamment par le biais de l'entreprise d'Etat 224 Flight Unit. Aucun d'entre eux n'a enregistré de déplacement au Burkina Faso dans les trois derniers mois selon cette base de données.
"En Afrique, sur les livraisons d'armement, c'est très souvent l'Iliouchine-76 [produit par le constructeur aéronautique russe du même nom, ndlr] qui est utilisé, et un peu plus rarement l'Antonov-124, et ils se posent généralement dans les aéroports internationaux", explique Olivier Fourt, journaliste pour Air&Cosmos, à l'AFP le 17 février.
Toujours selon les données répertoriées par FlightRadar24, aucun des Iliouchine-76 en activité commerciale utilisés par des opérateurs russes n'a enregistré de déplacements vers le Burkina Faso depuis le 1er février.
Sollicités, ni les autorités burkinabè ni l'aéroport international de Ouagadougou n'ont répondu aux questions de l'AFP. A la date de publication de cet article, aucune annonce officielle récente de livraison d'armes russes au Burkina n'a été recensée par l'AFP.
"Assistance" russe
"La lutte contre le terrorisme est bien sûr d'actualité pour les autres pays de la région", a dit le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov lors de sa visite au Mali le 7 février. "Nous allons leur apporter notre assistance pour surmonter ces difficultés. Cela concerne la Guinée, le Burkina Faso et le Tchad, et en général la région sahélo-saharienne et même les pays riverains du Golfe de Guinée", a-t-il déclaré.
Il a aussi promis un engagement russe intensifié en Afrique, signifiant la volonté d'occuper le terrain. Les Etats-Unis viennent de lancer une offensive diplomatique sur le continent déjà en proie à une âpre concurrence stratégique et économique entre grandes puissances.
"Nous allons apporter notre soutien au règlement des problèmes sur le continent africain, nous partons constamment du principe qu'il faut régler les problèmes africains avec des solutions africaines", a encore déclaré M. Lavrov. Les agissements des Occidentaux en Afrique sont les mêmes "partout dans le monde", a-t-il poursuivi, y compris en Europe où ils ont fait de l'Ukraine une "tête de pont" pour mener une "guerre hybride" contre la Russie.
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