De "l'éthanol" dans un poêle à pétrole pour se chauffer à moindre coût ? Attention à cette opération dangereuse


Publié le mardi 25 octobre 2022 à 14:39

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(AFP)

Auteur(s)

Emilie BERAUD, AFP France

Bien que la réglementation l'interdise, des vidéos relayées des milliers de fois sur TikTok et Facebook préconisent de mettre du superéthanol (E85) - carburant destiné aux moteurs des voitures - dans son poêle à pétrole domestique pour faire des économies. Ces publications affirment que cela est sans danger. Mais c'est faux : cette opération est dangereuse et peut présenter des risques d'intoxication au monoxyde de carbone, de brûlures et d'incendie, ont expliqué plusieurs experts à l'AFP.

A l'heure où les prix de l'énergie flambent, deux vidéos relayées plus de 7.000 fois sur TikTok (1), (2), dont l'une est aussi diffusée sur Facebook (3), prétendent partager une "astuce" pour se chauffer à moindre frais cet hiver. 

"J'ai essayé une technique qui ne vient pas de moi, que j'ai vue, et qui fonctionne très très bien", affirme l'auteur de la vidéo dans le premier clip, mis en ligne le 3 octobre 2022 sur TikTok. A l'image, il montre son poêle à pétrole, un chauffage d'appoint prévu pour fonctionner avec du Combustible Liquide pour Appareil de chauffage Mobile (CLAM).

"Qu'est-ce que je mets dedans ?", poursuit-il, "C'est pas de l'huile, c'est pas du pétrole lampant, c'est pas du gazole : c'est de l'éthanol mes amis, à 63 centimes le litre, qui vous fait le bidon à 14 euros même pas."

Dans le second clip, publié le lendemain sur TiKToK et trois jours plus tard sur Facebook, l'auteur de la vidéo assure tester la sécurité de son poêle à pétrole "qui tourne à l'éthanol, celui qu'on met dans les voitures". Il fait ici une confusion sémantique entre l'éthanol pur, un alcool à plus de 90% hautement inflammable, et ce qu'on appelle le superéthanol (E85), un carburant destiné aux moteurs des voitures qui contient du bioéthanol et de l’essence.

Au milieu de sa cuisine, il dit opérer un relevé des émissions de monoxyde de carbone (CO), gaz inodore, toxique et potentiellement mortel, à l'aide d'un détecteur : "Les amis je suis à zéro, c'est-a-dire que je n'ai aucune émission de monoxyde de carbone [...] donc on peut dire que mon appareil n'est pas dangereux", avance-t-il. 

Evoquant ensuite le "risque d'explosion", il tape vivement sur son poêle pour en "tester la sécurité" et conclut : "Mon appareil s'est éteint et je suis vivant, pas d'explosion, on peut dire aujourd'hui que cet appareil qui tournait au pétrole domestique tourne à l'éthanol en toute sécurité sans émissions de monoxyde de carbone."

644aa5ec222869fc76a3da8ef4b07fa38175ad6d-ipad.jpgCapture d'écran prise sur Facebook le 17 octobre 2022

57c3cfcb06a2f51fac01de637c8fef2bbec079d4-ipad.jpgCapture d'écran prise sur Tik-Tok le 17 octobre 2022

Cependant, les tests réalisés par l'auteur de la vidéo ne sont pas conformes à ceux effectués en laboratoires agréés et équipés d'analyseurs professionnels, qui se déroulent sur plusieurs mois. 

Par ailleurs, la règlementation en vigueur interdit l'utilisation d'un autre combustible que celui prévu à cet effet dans les poêles à pétrole, principalement pour des raisons de sécurité.

Changer la nature du combustible peut exposer le consommateur à des risques d'intoxication, de brûlures ou encore d'incendie, ont expliqué à l'AFP un laboratoire d'essais agréé, un fabriquant de poêles à pétrole et un rédacteur technique de l'association de consommateurs UFC-Que Choisir. 

Que dit le droit ?

La fabrication et l'utilisation des chauffages d'appoint sont très règlementées en France. "Il est interdit de mettre un autre combustible que celui prévu à cet effet dans un poêle à pétrole", a ainsi indiqué à l'AFP Aissam Haddad, rédacteur technique à l'UFC-Que Choisir, le 18 octobre 2022.

"Le combustible utilisé dans les poêles à pétrole domestiques est réglementé par un arrêté qui encadre sa composition, aussi bien chimique que physique", a également expliqué à l'AFP Noëlle Loferme Pedespan, responsable du Pôle Mécanique au Laboratoire de Métrologie et d'Essais (LNE) et ancienne responsable pendant dix ans du Pôle Energie, Environnement et Combustion.

En effet, un décret datant du 10 décembre 1992 édicte "les prescriptions de sécurité relatives aux appareils mobiles de chauffage à combustible liquide et à leurs pièces de rechange."

Deux arrêtés du 18 juillet 2002 (1) et du 25 juin 2010 (2) le complètent, apportant des précisions sur les "caractéristiques du combustible liquide pour appareils mobiles de chauffage.

010bf0104ee82cb7d1c4cc7be03aec5bf11680fc-ipad.jpgCapture d'écran prise sur le site Légifrance le 21 octobre 2022

Tous les fabricants qui commercialisent ce genre d'appareils doivent faire référence à la règlementation en vigueur dans la notice qui accompagne les poêles à pétrole, comme en témoigne ce manuel d'utilisation :

ec73041f80be4199e519066555cc70bf5bbddba5-ipad.jpgCapture d'écran du manuel d'utilisation prise le 17 octobre 2022

En cas d'accident, "le critère de mauvaise utilisation de l'appareil peut être retenu contre le consommateur s'il n'a pas utilisé le bon combustible", ajoute Aissam Haddad.

"Les équipements mis sur le marché français ont été testés, du point de vue de la sécurité, avec un combustible conforme à cet arrêté. Dès lors que vous changez arbitrairement la nature du combustible en dehors des caractéristiques réglementaires, toutes les garanties associées à l’appareil tombent, et la responsabilité revient au consommateur", complète Noëlle Pedespan. 

Risque d'intoxication, de brûlures, d'incendie

Mettre du superéthanol (E85) dans un poêle à pétrole domestique n'est pas sans danger pour la santé humaine, contrairement à ce qu'avance l'auteur de la vidéo, car l'opération présente notamment des risques d'intoxication possiblement mortelle au monoxyde de carbone.

"Chaque année, ce gaz toxique est responsable d’une centaine de décès en France", peut-on lire sur le site du ministère de la Santé.

En utilisant un autre combustible que celui prévu à cet effet, "s’il y a une mauvaise combustion, un dégagement de Co et Co2 va se faire ce qui est dangereux pour la santé", a indiqué par mail à l'AFP l'un des techniciens de PVG, fabricant de poêles à pétrole qui a conçu l'appareil montré dans la vidéo.  

Son auteur assure réaliser un "test" pour évaluer les émissions de monoxyde de carbone, à mais celui-ci ne répond pas aux normes suivies par les laboratoires d'essais agréés :

"Cet appareil n’est pas forcément adéquat pour cette mesure-là. Dans notre laboratoire, on réalise des essais à l’aide d’analyseurs étalonnés et capables de détecter des quantités très faibles de monoxyde de carbone", explique Noëlle Loferme Pedespan. 

Par ailleurs, le "test" effectué dans la vidéo ne dure que quelques secondes, alors qu'en laboratoire, "quand on fait des essais, on va jusqu’à huit heures de fonctionnement dans une pièce ventilée pour savoir si le monoxyde de carbone s’accumule ou pas, on ne fait pas que des mesures instantanées", précise la responsable du Pôle Mécanique du LNE.

Car ce qui est dangereux pour l'organisme, c'est l'accumulation du monoxyde de carbone, qui prend la place de l'oxygène sur l'hémoglobine. "C'est quasiment une asphyxie", pointe-t-elle. 

Sur son site, le ministère de la Santé et des Service sociaux du Québec fait d'ailleurs état des effets probables à la suite d'une exposition aiguë au monoxyde de carbone.

c010838df80e5519c8d241391fa3734fc6ebeb0c-ipad.jpgCapture d'écran prise sur le site du Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec le 21 octobre 2022

L'auteur de la vidéo assure également "tester" la sécurité de l'appareil face à un risque d'explosion. 

Mais la sécurité qu’il montre est "une sécurité qu’on retrouve dans tous les appareils de poêles à pétrole : une sécurité au choc qui n’est pas lié au combustible. [...] Que vous mettiez de l’éthanol ou autre chose, quand vous choquez l’appareil, la sécurité se déclenche par le biais d'un dispositif mécanique", explique Noëlle Loferme Pedespan.

"Il n'y a pas qu'un risque d'intoxication, il y a aussi des risques de brûlures, d'incendies, d'emballement de la combustion", ajoute-t-elleC'est pourquoi en laboratoire, les experts réalisent des essais complets, sur de grandes échelles de temps.

Dans le cas d'un poêle à pétrole domestique, "on fait d'abord une semaine pleine de tests à neuf où on mesure les températures atteintes par l’appareil (risque brûlures et incendie) et où on fait un premier bilan gaz (risque intoxication)", détaille l'experte. 

"Ensuite, on a 250 heures d’endurance qui représentent peu ou prou une saison de fonctionnement sur un hiver, puis on réalise un nouveau bilan. En termes de délais moyen on est donc autour de deux mois et demi - trois mois pour caractériser un appareil. Les bilans gaz sont réalisés en condition ventilée et même en chambre étanche pour reproduire des conditions de fonctionnement particulièrement dégradées", complète-t-elle.

Au-delà des risques qu'elle présente pour la santé, une telle opération peut dégrader le poêle à pétrole lui-même : "Le consommateur peut se retrouver avec un appareil qui rouille prématurément. Si son poêle à pétrole ne fonctionne plus au bout de trois semaines, c'est peut-être parce qu'une mauvaise combustion aura provoqué des température beaucoup trop élevées et dégradé des composants", explique ainsi Aissam Haddad. 

"Il faut faire le parallèle avec une voiture", ajoute Noëlle Loferme Pedespan, "Son moteur est réglé pour que sa combustion soit optimale avec un type de carburant particulier. Même si au début ça peut avoir l’air de fonctionner avec un autre combustible, ce n’est pas parce que ça marche à l’instant T que l’appareil va apporter les mêmes garanties de sécurité et de fonctionnement dans la durée."

L'éthanol pur : un combustible hautement inflammable

Parce qu'il parle d'"éthanol" et non pas de superéthanol, par manque de clarté, l'auteur de la vidéo peut laisser entendre qu'il utilise de l'éthanol pur dans son poêle à pétrole.

Or, "l’éthanol est encore plus inflammable qu’un combustible classique ce qui le rend très dangereux à l’utilisation", explique Aissam Haddad. 

"L’éthanol pur (95%) est un produit facilement inflammable dont les vapeurs peuvent former des mélanges explosifs avec l'air", note aussi Noëlle Loferme Pedespan. L'experte précise : "Il présente en lui-même des dangers qui, pour être diminués, impliquent de ne pas utiliser de trop grandes quantités ni d’en stocker plusieurs bidons dans un même endroit."

Les cheminées à éthanol, des chauffages d'appoint qui utilisent un combustible liquide à base d'éthanol, ont par ailleurs déjà fait l'objet d'une mise en garde en 2008 :

"Suite à l'avis alarmant de la Commission de sécurité des consommateurs sur la sécurité des cheminées à éthanol, rendu public aujourd'hui, l'UFC-Que Choisir appelle formellement le gouvernement à en interdire la commercialisation tant qu'aucune norme spécifique ne sera édictée", peut-on lire sur le site de l'UFC-Que Choisir.

L'association de consommateurs complète : "Les tests réalisés par la CSC, en partenariat avec l'UFC-Que Choisir révèlent des risques sérieux d'intoxication, de brûlures graves et d'incendie pouvant être occasionnés par l'utilisation des ces foyers, en raison de la nature du combustible, l'éthanol, et de la conception des appareils."

En décembre 2008 également, un article du magazine 60 millions de consommateurs appelait à la "prudence avec les foyers à éthanol".

Enfin, l'argument économique avancé par l'auteur de la vidéo est à remettre en perspective dans la mesure où il compare l'incomparable : le prix d'un Combustible Liquide pour Appareil de chauffage Mobile (CLAM) prévu pour faire fonctionner les poêles à pétrole avec celui d'un carburant à la pompe destiné aux moteurs de voitures. 

Le premier, disponible à l'achat à environ 40 euros les 20L est effectivement plus coûteux que le superéthanol (E85), à environ 0,70 euros (au 24/10/2022) le litre à la pompe soit 14 euros les 20L. L'éthanol pur, de son côté, s'achète en magasin à environ 100 euros les 20L.

Des mesures contre la flambée des prix de l'énergie

Ces vidéos circulent sur les réseaux sociaux dans un contexte où la flambée des prix de l'énergie inquiète les ménages et les entreprises.

Pour tenter de l'endiguer, les dirigeants de l'Union européenne sont tombés d'accord dans la nuit du 20 au 21 octobre 2022 sur une "feuille de route", visant à mettre en place un ensemble de mesures.

Selon le président français Emmanuel Macron, les mécanismes envisagés pourraient être mis en œuvre "fin octobre, début novembre". Il a estimé que les dirigeants avaient "envoyé de manière très claire aux marchés un signal de (leur) détermination et de (leur) unité".

7fefe31f52073d851009c102432932ec257140b7-ipad.jpgManifestation à Rennes, le 18 octobre 2022, après que les syndicats CGT et FO ont appelé à une grève nationale pour réclamer une hausse des salaires et contre la réquisition par le gouvernement des raffineries de carburant (AFP / DAMIEN MEYER)

Selon les conclusions diffusées à l'issue de la rencontre, les chefs d'Etat et de gouvernement demandent à la Commission de leur soumettre "de façon urgente" des "décisions concrètes" sur ces mesures, dont des interventions pour dompter la volatilité des cours du gaz.

Les Vingt-Sept se sont mis d'accord pour favoriser les achats en commun de gaz à l'échelle de l'UE, avec l'idée qu'ils restent "volontaires" mais couvrent au moins un niveau-cible "obligatoire" de 15% des objectifs de remplissage des stocks de l'UE pour l'hiver 2023.

Ils ont également appelé à "accélérer ses négociations" avec des pays producteurs "fiables" comme la Norvège et les Etats-Unis, pour "tirer avantage du poids économique" agrégé de l'UE plutôt que de se faire concurrence sur le marché mondial au risque d'alimenter la fièvre des prix.

Outre une mesure d'encadrement du prix de gros dans les transactions de gaz naturel, les dirigeants demandent par ailleurs un projet précis de mécanisme "temporaire" pour plafonner les prix du gaz utilisé pour produire de l'électricité --un dispositif déjà mis en place en Espagne et au Portugal, et dont la France réclamait l'extension à l'ensemble de l'UE.

 

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