Il n'existe pas de preuve scientifique à ce jour qu'ingérer du glutamate favorise les maladies neurodégénératives


Il n'existe pas de preuve scientifique à ce jour qu'ingérer du glutamate favorise les maladies neurodégénératives

Publié le mardi 28 mars 2023 à 09:35

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(AFP)

Auteur(s)

Marie GENRIES, AFP Belgique

Le glutamate, un acide aminé indispensable au bon fonctionnement de notre cerveau, est également un additif alimentaire autorisé par l'Union européenne, qui recommande cependant une dose journalière maximum. Dans une vidéo relayée près de 2 000 fois sur Facebook depuis le 1er mars, un homme affirme que le glutamate monosodique "favorise le développement de la maladie de Parkinson, Alzheimer et la sclérose en plaques". Il affirme aussi que cet additif "est un tueur de neurones" et qu'il favorise le diabète de type 2. Ces affirmations sont infondées, ont expliqué plusieurs experts à l'AFP: la barrière hémato-encéphalique protège le cerveau et il n'existe pas à l'heure actuelle d'études démontrant que l'ingestion de glutamate provoque des maladies neurodégénératives.

Le glutamate monosodique (E621) "favorise le développement de la maladie de Parkinson et bien d’autres effets au niveau de santé", alerte l'auteur d'une publication sur la page "Belgium United for Freedom". Il relaie une vidéo de 40 secondes, montrant la liste des ingrédients contenus dans un paquet de chips. Parmi eux,  le glutamate monosodique, un additif alimentaire autorisé par l'Union européenne

En voix off, un homme, qui apparaît face caméra dans les dernières secondes de la vidéo, déclare à propos du glutamate monosodique: "on en retrouve partout dans les paquets de chips, les charcuteries et bien d'autres denrées ultra transformées. C'est un tueur de neurones et particulièrement dangereux pour les jeunes enfants. Ca favorise le développement de la maladie de Parkinson, Alzheimer et la sclérose en plaques. Cet additif fait grossir, il perturbe aussi le pancréas et fait développer le diabète de type 2". Enfin, affirme-t-il, il "est interdit en bio". 

ff17f354355ccb68cd1c854a67222c81b40a8681-ipad.jpgCapture d'écran réalisée sur Facebook le 14/03/2023

Partagée plus de 1 600 fois depuis le 1er mars 2023, cette vidéo semble avoir été tournée en Belgique: la liste des ingrédients sur le paquet de chips apparaît en français et en flamand. On aperçoit très rapidement l'inscription sur le paquet: il s'agit d'un paquet de la gamme "Mama mia's" de la marque Lays. Une recherche sur un site de grande surface permet de vérifier qu'il contient en effet du glutamate monosodique.

Le glutamate est un acide aminé, naturellement présent dans un grand nombre d'aliments que nous consommons, comme le raisin, la tomate ou les champignons. Il peut aussi être ajouté comme exhausteur de goût  dans les aliments transformés sous forme de glutamate monosodique (GMS), en particulier dans la cuisine asiatique. Il est responsable de ce que certains appellent l'umami ou "cinquième saveur".

Le glutamate existe également sous forme naturelle dans le système nerveux: il s'agit du principal neurotransmetteur excitateur (comme la dopamine). Il joue un rôle majeur dans l'apprentissage et la mémoire. "Le glutamate, on en fabrique naturellement, on en a besoin pour fonctionner", a expliqué à l'AFP Emmanuel Hermans, professeur à l'Institut des neurosciences de l'Université catholique de Louvain. 

L'excès de glutamate dans le cerveau a été mis en cause dans certaines maladies neurodégénératives, comme Alzheimer ou Parkinson. Mais il s'agit de glutamate cérébral, ont expliqué plusieurs spécialistes à l'AFP: les barrières du système nerveux permettent au glutamate monosodique - l'additif - de ne pas atteindre le cerveau, qui possède de toute façon des mécanismes d'élimination du glutamate.

Un excès de glutamate cérébral impliqué dans certaines maladies neurodégénératives

"Pour que le cerveau fonctionne correctement, le glutamate doit être présent dans la bonne concentration, au bon endroit et au bon moment. Un excès de glutamate (dans le système nerveux) est associé à des maladies telles que la maladie de Parkinson, la maladie d'Alzheimer et la maladie de Huntington", explique le centre médical universitaire américain Cleveland Clinic sur son site (lien archivé).

Comme l'explique cet article, l'excès de glutamate observé est provoqué par les cellules nerveuses qui "libèrent trop de glutamate", saturant alors les synapses - les espaces entre les neurones - et provoquant "l'excitation continue des cellules nerveuses". Cleveland Clinic ne mentionne aucun facteur extérieur pouvant provoquer cet excès de glutamate, comme la consommation de cette molécule sous forme d'additif alimentaire. 

Dans la malade de Parkinson, la diminution de la dopamine provoque un surplus de glutamate, à l'origine des tremblements observés chez les patients.   Dans le cas d'Alzheimer, des dysfonctionnements au niveau des synapses sont à l'origine d'un excès de glutamate dans le cerveau. 

Néanmoins, ces dysfonctionnements n'ont rien à voir avec le GMS, a expliqué à l'AFP Emmanuel Hermans: "Il ne faut pas tout mélanger. La toxicité nerveuse du glutamate est connue: si vous mettez trop de glutamate au contact des neurones, vous les tuez. Mais il s'agit de glutamate cérébral, il faut le séparer de notre alimentation", a-t-il déclaré le 10 mars 2023.

"Depuis trente ans, toutes sortes de désinformations circulent à propos de cet additif", a ajouté Laurence Ris, cheffe du service de neuroscience à la faculté de médecine de l'Université de Mons, interrogée le 14 mars 2023. 

"Il y a eu toute une série de recherches réalisées sur des animaux, avec des doses très hautes, pour savoir si le glutamate qu'on mange pouvait arriver dans le cerveau", a déclaré la neuroscientifique. Il faudrait manger une quantité considérable de glutamate pur pour que cela arrive, explique-t-elle. 

Des barrières qui protègent le cerveau

Le glutamate monosodique n'est pas "une source d'inquiétude", a expliqué Emmanuel Hermans: "certaines personnes peuvent être hypersensibles aux condiments enrichis de glutamate, mais on a des barrières qui protègent le cerveau, les substances ingérées n'arrivent donc pas directement dans les neurones".

Le cerveau est en effet protégé par la barrière hémato-encéphalique, qui le protège du reste de l'organisme, ainsi que par les cellules gliales, qui isolent les neurones du système nerveux central. 

"Une fois l'additif alimentaire absorbé, il passe dans le foie, dans les muscles. Il peut parfois passer dans le cerveau mais il est alors capturé par les cellules gliales qui vont protéger le cerveau", a abondé Philippe Huot, neurologue et professeur agrégé à l’Institut-Hôpital neurologique de Montréal et à l’Université McGill.

Dans le cas de la maladie de Parkinson, sur laquelle le neurologue travaille particulièrement, "les mouvements du glutamate sont observés dans des régions particulières du cerveau. Si c'était lié à un additif alimentaire, on les observerait dans toute le cerveau", a-t-il déclaré le 6 mars 2023.

Selon Laurence Ris, les personnes atteintes d'Alzheimer ou les nouveaux nés sont "plus sensibles" à l'ingestion de glutamate, car leur barrière hémato-encéphalique protégeant le cerveau est plus fragile. En revanche, "chez une personne saine physiologiquement, le glutamate ne va pas déclencher la maladie d'Alzheimer. Il y a une série de facteurs environnementaux qui peuvent permettre de réduire le risque de développer la maladie d'Alzheimer. Ne pas manger d'additifs n'en fait pas partie", conclut Laurence Ris. 

Par ailleurs, il existe dans le système nerveux des mécanismes d'élimination de l'excès de glutamate. "Ces mécanismes compensatoires permettent aux concentrations chimiques du cerveau de rester stable", a expliqué Philippe Huot. "Donc même si un peu de glutamate alimentaire arrive dans le cerveau, il existe des protections qui vont maintenir les concentrations à des niveaux physiologiques pour le protéger. Au vu des concentrations en additifs dans les aliments, il faudrait manger énormément de chips pour avoir une infime conséquence sur les neurones". 

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30508818/Un article (lien archivé ici) faisant état des connaissances scientifiques autour du GMS, publié dans la revue Annals of Nutrition and Metabolism en 2018, a conclu que "la barrière hémato-encéphalique limite efficacement le passage du glutamate du sang vers le cerveau, de sorte que les niveaux de glutamate dans le cerveau n'augmentent que lorsque les concentrations de glutamate dans le sang sont augmentées expérimentalement par des moyens non physiologiques". 

1e5f5161e5d27d38d5821270606e2f65e7875b95-ipad.jpgDes produits à base de glutamate monosodique (GMS) de la société alimentaire Ajinomoto sont exposés dans un supermarché de Tokyo le 20 janvier 2020 (AFP / BEHROUZ MEHRI)

Un article publié en 2019 dans la revue Comprehensive Reviews in Food Science and Food Safety et ayant pour objectif de "passer en revue la littérature disponible sur les études précliniques et les essais cliniques concernant les effets indésirables présumés du GMS" concluait que "bon nombre des effets négatifs du GMS sur la santé qui ont été rapportés n'ont que peu de pertinence par rapport à l'exposition chronique de l'Homme et sont peu informatifs car ils sont basés sur des dosages excessifs, qui ne correspondent pas aux niveaux normalement consommés dans les produits alimentaires". 

Des doses journalières maximum établies après le signalement d'effets secondaires bénins

Très présent dans la cuisine asiatique, le glutamate a été associé au "syndrome du restaurant chinois", qui fait référence à "des symptômes tels qu’une tension du visage, des douleurs thoraciques, des sensations de brûlure dans tout le corps et de l’anxiété après avoir consommé un repas chinois", explique le site du Manuel MSD.

D'après cet article du site Healthline (lien archivé), les études sur le glutamate ont débuté dans les années 1960, lorsque le médecin sino-américain Robert Ho Man Kwok a écrit une lettre au New England Journal of Medicine pour expliquer qu'il était tombé malade après avoir consommé de la nourriture chinoise.

Cependant, explique Allergies Québec, "aucune étude scientifique ne peut confirmer la croyance populaire selon laquelle le GMS entraînerait, à la suite de sa consommation, des troubles respiratoires et des migraines. Par contre, certains individus, notamment les personnes asthmatiques, y seraient plus sensibles". 

Sur sa page (lien archivé) de questions/réponses dédiée au glutamate - mise à jour en 2018 -, l'agence américaine chargée de la sécurité des aliments, la FDA, explique avoir reçu au fil des années "des rapports faisant état de symptômes tels que des maux de têtes et des nausées après la consommation d'aliments contenant du GMS", tout en précisant "n'avoir jamais été en mesure de confirmer que le GMS était à l'origine des effets signalés". 

Elle cite un rapport de la Fédération des sociétés américaines de biologie expérimentale (FASEB), réalisé dans les années 90, qui a identifié "quelques symptômes passagers, de courte durée et généralement bénins, tels que des maux de tête, des engourdissements, des bouffées vasomotrices, des picotements, des palpitations et de la somnolence, qui peuvent survenir chez certaines personnes sensibles qui consomment 3 grammes ou plus de GMS en dehors des repas. Cependant, une portion typique d'un aliment contenant du GMS ajouté contient moins de 0,5 gramme de GMS. Il est peu probable que l'on consomme plus de 3 grammes de GMS en une seule fois hors d'un repas", conclut la FDA. 

La FDA qualifie les additifs alimentaires à partir de glutamate de "sûrs" et considère qu'"un adulte moyen consomme environ 13 grammes de glutamate par jour à partir des protéines alimentaires, alors que l'apport de GSM (glutamate monosodique) ajouté est estimé à environ 0,55 gramme par jour". 

La dernière évaluation de la toxicité potentielle du glutamate comme additif alimentaire réalisée par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) date de 2017 (lien archivé): l'EFSA établit une dose journalière admissible (DJA) maximum de glutamate de 30mg/kg de poids corporel, une dose "basée sur la dose la plus élevée à laquelle les scientifiques n'ont observé aucun effet indésirable sur les animaux de laboratoire dans les études de toxicité", écrit l'EFSA. 

La méta-analyse réalisée par l'EFSA sur le glutamate, lui permettant d'établir cette dose journalière maximum, est disponible ici (lien archivé).  

Contacté le 10 mars 2023, le SPF Santé publique belge (équivalent du ministère de la Santé) a déclaré à l'AFP que "l'additif E621 glutamate monosodique est autorisé et sans danger tant que le seuil n'est pas dépassé". 

Comme l'affirme l'auteur de la vidéo, le glutamate monosodique ne figure pas parmi les substances autorisées par l'Union européenne dans les produits biologiques.

Aucune preuve scientifique à ce jour que le GMS favorise la sclérose en plaques

La sclérose en plaques est une maladie auto-immune, qui affecte le système nerveux central. Comme l'explique l'Inserm sur son site, les facteurs de risque sont encore mal connus. En plus d'une prédisposition génétique, des facteurs environnementaux comme le niveau d'ensoleillement et un risque infectieux sont également mis en cause. 

"Je n'ai jamais entendu parler d'un risque associé au GMS", a déclaré à l'AFP Jean Braeckeveldt, neurologue et expert en sclérose en plaques à la clinique Epicura, à Baudour (Wallonie), "je n'ai pas vu de rapport épidémiologique sérieux sur ce sujet. Ce n'est clairement pas un sujet à l'ordre du jour dans les congrès sur la sclérose en plaques". 

"On fait l'amalgame entre glutamate monosodique et le glutamate en tant que neurotransmetteur", a-t-il expliqué le 23 mars 2023, "il y a beaucoup de glutamate dans la cuisine asiatique, pourtant il n'y a pas de prévalence de la sclérose en plaques dans ces régions-là". 

Cécilia Samieri, directrice de recherche à l'Inserm, a déclaré à l'AFP le 22 mars 2023 n'avoir "jamais entendu parler de ça. S'il y a un lien, ça ne doit pas être étayé par beaucoup de travaux, en tout cas pas en épidémiologie", a-t-elle commenté.

Prise de poids et diabète

L'additif alimentaire glutamate "fait grossir, perturbe aussi le pancréas et fait développer le diabète de type 2", affirme l'homme dans la vidéo partagée sur les réseaux sociaux.

Les études existantes ne permettent pourtant pas d'affirmer une telle chose. Cet article (lien archivé), publié dans la revue Amino Acids en juin 2014, rapporte les résultats d'un symposium dédié à ce sujet, organisé lors du 13e Congrès international sur les acides aminés, les peptides et les protéines:

"Les principales conclusions étaient les suivantes : 1) le lien proposé entre l'apport de GMS et la prise de poids s'explique probablement par des facteurs environnementaux covariants (par exemple, l'alimentation, l'activité physique) liés à la 'transition nutritionnelle' dans les pays asiatiques en développement. 2) Des études d'intervention contrôlées ajoutant du GMS au régime alimentaire des animaux et des humains ne montrent aucun effet sur le poids corporel. 3) Les hypothèses postulant des effets du GMS alimentaire sur le poids corporel impliquent des résultats d'études d'injection de GMS chez des rongeurs qui lient le GMS à des actions dans le cerveau non applicables aux études d'ingestion de GMS". 

Pierre Maechler, professeur au centre facultaire du diabète de l'Université de Genève interrogé par l'AFP le 10 mars, voit dans la vidéo partagée sur Facebook "un exemple de comment traiter une information scientifique et l'injecter hors contexte pour faire passer un message faux"

"On ne peut pas dire que le glutamate monosodique alimentaire fait grossir ni qu’il affecte le pancréas. Il existe quelques études effectuées sur des rongeurs qui ont été nourris massivement avec du GMS dans des proportions qui sont irréalistes pour l'usage en alimentation humaine, en tant qu'exhausteur de goût.  Ces rares et controversées études sur des rongeurs ont montré qu’il y avait une légère prise de poids et que si on fait une histologie - une étude de la structure des tissus - du pancréas il y a un peu moins de cellules à insuline, mais sans signe clinique associé (donc aucun effet sur la santé). La FDA a disculpé les soupçons qu’il pouvait y avoir sur le GMS", a-t-il précisé.

"C'est une information infondée scientifiquement", a également estimé Hélène Alexiou, diététicienne-nutritionniste à la Haute école Léonard de Vinci (Bruxelles). "L'hypothèse selon laquelle ça ferait prendre du poids part de l'idée que le GMS améliore le goût de certains aliments et donc favoriserait l'ingestion de nourriture. Des études ont été réalisées, mais aucune ne prouve que le glutamate a un effet sur le poids ou le pancréas. Le GMS qu'on ingère ne passe que très peu dans le sang et ne traverse pas la barrière hémato-encéphalique", a-t-elle expliqué le 24 mars 2023, ajoutant que "les études réalisées l'ont été sur des rongeurs et avec de très hautes doses". 

En août 2022, les auteurs d'une étude de la portée sur l'état des connaissances autour des liens entre glutamate monosodique et diabète de type 2 rapportaient (lien archivé) que "la plupart des effets néfastes du GSM " avaient été "observés à des doses orales supérieures à 2000 mg/kg de poids corporel et à des doses plus faibles après gavage ou injection. Toutefois, les doses orales plus faibles n'ont pas encore fourni de preuves concluantes. Étant donné que le DT2 (diabète de type 2)  est une maladie hétérogène, le GMS pourrait être l'un des nombreux facteurs environnementaux y contribuant...". 

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