Le 16 février 2024, les autorités russes ont annoncé le décès dans sa prison de l'Arctique de l'opposant numéro 1 du Kremlin, Alexeï Navalny, à un mois de la présidentielle, qui doit encore une fois cimenter le pouvoir de Vladimir Poutine (lien archivé ici).

Sa mort après trois années de détention et un empoisonnement dont il accusait le Kremlin prive une opposition déjà exsangue de sa figure de proue, le Kremlin ayant orchestré une répression sans merci de tous ses détracteurs, en particulier depuis le début de son assaut contre l'Ukraine il y a deux ans.

Alexeï Navalny était emprisonné depuis son retour en Russie début 2021, après un grave empoisonnement, et sa santé s'était détériorée. Il avait passé près de 300 jours en cellule disciplinaire, aux conditions de détention épuisantes.

L'annonce de son décès a suscité une grande vague d'émotion et d'indignation en Russie et en Occident. De nombreux dirigeants occidentaux ont accusé Moscou d'être responsable de sa mort.

L'équipe de l'opposant russe Alexeï Navalny a affirmé lundi 19 février que les enquêteurs mèneraient pendant au moins 14 jours une "expertise" sur sa dépouille avant de la rendre (lien archivé ici).

Quelques heures après l'annonce du décès d'Alexeï Navalny, des publications virales sur les réseaux sociaux ont partagé une photo de sa veuve, Ioulia Navalnaïa, en short et souriante, en compagnie d'un autre homme sur une plage, avec des commentaires ironiques destinés à la décrédibiliser et ainsi par ricochet son combat et celui de son mari. 

"LA VEUVE ÉPLORÉE DE NAVALNY EN COMPAGNIE DE SON NOUVEAU COMPAGNON. Elle semble particulièrement malheureuse... Quel cirque cette histoire et il y a des crétins qui vont gober la propagande qui présente Navalny comme ayant été un danger pour Vladimir Poutine", écrivent ainsi plusieurs internautes sur X et Facebook.

"La veuve éplorée de #AlexeiNavalny Avec son mec ! #FoutageDeGeule", commente un compte se présentant comme "Médium Youtubeuse".

"Récapitulons : avant de se retrouver par le plus grand des hasards à Munich, le jour de la mort de Navalny, Yulka [sic], sa veuve éplorée, se prélassait sur une plage !!", entend dénoncer un autre internaute sur X.

Des publications similaires ont été partagées en anglais, italien, serbo-croate et allemand.

Ancienne photo

Contrairement à ce que laissent entendre ces internautes, cette photo de Ioulia Navalnaïa n'est pas récente.

Grâce à la recherche par image inversée, on constate que cette image a été publiée sur un compte Instagram baptisé "tot_samy_chichvarkin".

Il s'agit du profil d'Evgueni Tchitchvarkine, un milliardaire russe de 49 ans. Le 17 août 2021, il publiait la photo, le montrant aux côtés de Ioulia Navalnaïa (lien archivé ici). "Avec la première dame de la belle Russie du futur @yulia_navalnaya Photo par : #моябоеваяподруга Liberté @navalny !", écrivait-il, localisant l'image à Jurmala, une ville côtière de Lettonie.

Co-fondateur et ex-propriétaire du premier distributeur russe de téléphones portables Euroset, Evgueni Tchitchvarkine a fui en Grande-Bretagne en 2008 après la vente de son entreprise.

Accusé d'enlèvement et d'extorsion de fonds, il était visé par un avis de recherche international et une demande d'extradition jusqu'en 2011 lorsque la Russie avait mis fin aux poursuites le ciblant (lien archivé ici).

Reconverti dans le négoce de vins, Evgueni Tchitchvarkine est aussi devenu un fervent opposant à Vladimir Poutine. Ami d'Alexeï Navalny, il lui a envoyé plus de 100.000 dollars depuis 2010 pour financer sa lutte (lien archivé ici), selon cet article de Time, et payé une partie des frais médicaux consécutifs à l'empoisonnement d'Alexeï Navalny en 2020, selon cette dépêche de Reuters.

Il y a trois ans, la publication de sa photo en compagnie de Ioulia Navalnaïa avait été largement commentée. Dans une interview donnée à la radio indépendante L'Echo de Moscou (fermée par les autorités russes en mars 2022) republiée par le site PolitNavigator, l'homme d'affaires expliquait, avec une pointe d'ironie, le contexte de la photo : "Les gens sont jaloux: eux aussi voudraient se promener au bord de la mer avec Ioulia Navalnaïa, une femme belle et forte, potentiellement une Première Dame" (lien archivé ici).

"Jurmala n'a pas encore été pris par les talibans, on peut s'y promener avec une femme mariée. Et vous pouvez deviner que nous n'étions pas seuls là-bas...", poursuivait-il. "Malheureusement, Alexeï a été emprisonné, mais elle [Ioulia Navalnaïa], personne ne l'a emprisonnée", disait-il encore.

Fausses factures

Ioulia Navalnaïa est la cible régulière de rumeurs visant à la discréditer elle ou son défunt mari. Après la mort d'Alexeï Navalny, des internautes ont accusé la quadragénaire d'être une "escorte politique", utilisant la photo où elle s'affiche avec Evgueni Tchitchvarkine et le témoignage d'une femme se présentant comme son ancienne assistante. 

Cette allégation a notamment été relayée par les sites pravda-fr.com, pravda-en.com et pravda-de.com qui appartiennent à un réseau "structuré et coordonné" de 193 sites diffusant de la propagande russe en Europe et aux Etats-Unis, selon Viginum, l'organisme français de lutte contre les ingérences numériques étrangères (lien archivé ici).

On la retrouve également sur Telegram, partagée par exemple sur cette chaîne de paramilitaires bulgares affiliés à la Russie (lien archivé ici).

D'autres comptes sur internet ont relayé - à l'appui de leurs allégations- des photos de factures sur le site de réservation d'hôtel Booking. Mais selon Eliot Higgings, fondateur du média d'investigation numérique Bellingcat, le document présenté correspond à une réservation annulée pour avril 2024 (lien archivé ici). "Il est donc clair qu'ils ont effectué les réservations puis modifié les dates pour falsifier les preuves" et faire croire qu'elles dataient de 2023, selon Eliot Higgins.

Dans une vidéo publiée lundi 19 février, Ioulia Navalnaïa, a promis de continuer la lutte contre Vladimir Poutine menée par son mari et appelé ses partisans à la rejoindre, trois jours après le décès en prison de l'opposant dans des conditions obscures (liens archivés ici et ici).

La voix parfois serrée par l'émotion, la veuve d'Alexeï Navalny est revenue sur le parcours et les souffrances de son époux. Et assuré qu'elle reprendra le flambeau.

"Il y a trois jours, Vladimir Poutine a tué mon mari, Alexeï Navalny. Poutine a tué le père de mes enfants (...) Avec lui, (Poutine) a voulu tuer notre espoir, notre liberté, notre futur", a asséné Ioulia Navalnaïa.

"Je poursuivrai l'oeuvre d'Alexeï Navalny. Je continuerai pour notre pays, avec vous. Et je vous appelle tous à vous tenir près de moi (...) Ce n'est pas une honte de faire peu, c'est une honte de ne rien faire, c'est une honte de se laisser effrayer", a-t-elle martelé, cheveux blonds rassemblés, comme toujours, dans un chignon serré.

Cela faisait deux ans qu'elle n'avait pas vu son mari quand elle a appris sa mort, alors qu'elle se trouvait à la conférence de Munich sur la sécurité. Au bord des larmes, elle avait alors déjà pris la parole et accusé Vladimir Poutine de l'avoir tué.

Mme Navalnaïa a assuré que son équipe allait découvrir qui avait commis "ce crime" contre son mari et dans quelles circonstances.

20 février 2024Ajoute exemples de désinformation dans d'autres langues 19 février 2024merci de lire 2020 et non 2021 pour l'empoisonnement de Navalny