L'hydrogène : une source d'énergie naturelle et non-polluante disponible en abondance sur Terre ? C'est faux


L'hydrogène : une source d'énergie naturelle et non-polluante disponible en abondance sur Terre ? C'est faux

Publié le jeudi 23 juin 2022 à 17:05

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(AFP)

Auteur(s)

Emilie BERAUD, AFP France

L’hydrogène est-il une source d’énergie naturelle et non-polluante, présente en abondance sur Terre, à même de faire fonctionner nos moyens de transports et nos centrales électriques ? C’est ce que prétend un post Facebook relayé ces derniers jours, qui affirme que l’hydrogène est "naturel" et "disponible à profusion" sur la planète, vantant les seuls "rejets écologiques" de son utilisation. Cette assertion est à nuancer sérieusement : s'il est présent en grande quantité dans l'univers, cet élément n'existe quasiment pas à l'état pur sur Terre. Par ailleurs, tel qu’il est actuellement produit à échelle industrielle, l’hydrogène génère par sa fabrication des gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique. C'est ce qu'ont expliqué à l'AFP des spécialistes de l’énergie et du climat.

"Avec l'hydrogène, nous pouvons faire fonctionner nos voitures, camions, trains avions, centrales électriques etc......et le tout sans pollution et uniquement avec des rejets écologiques, puisque c'est de l'eau. Alors, pourquoi privilégier l'électricité ?", interroge l'auteur d'un post Facebook, publié le 15 juin 2022. 

000ff5e3322fd4fa2e5c1a0f1b19c2e0bd65d9cc-ipad.jpgCapture d'écran prise sur Facebook le 20 juin 2022

Dans l’objectif de limiter leur dépendance aux énergies fossiles, plusieurs Etats envisagent effectivement l’hydrogène comme une alternative, inscrite sur la liste du panel de solutions pour décarboner les processus industriels et les secteurs économiques dans lesquels la réduction des émissions de CO2 est urgente.

Pourquoi l’hydrogène ? Parce que son utilisation ne produit justement pas d’émissions de CO2.

Ainsi, la France, l’Allemagne et d’autres pays membres de l’Union européenne ont annoncé des plans d’investissement conséquents de déploiement de l’hydrogène, représentant plus de 50 milliards d’euros à l’horizon 2030.

Plus globalement, des plans massifs de développement de l’hydrogène ont été annoncés un peu partout dans le monde, aux Etats-Unis, en Asie. Des projets existent aussi en Afrique, qui compte sur son potentiel en énergie solaire et éolienne pour fabriquer de l’hydrogène décarboné.

Cependant, à l'heure actuelle, la production mondiale d'hydrogène est largement corrélée à des procédés polluants et impactant négativement le climat. 

La publication véhiculée sur Facebook est donc à nuancer sérieusement : s’il est bien présent en grande quantité dans l'univers, l’hydrogène n'existe, sur Terre, que dans des proportions limitées. A l’heure actuelle, il est essentiellement fabriqué à partir d'énergies fossiles, via des modes de production fortement émetteurs de gaz à effet de serre et responsables du réchauffement climatique.

C’est ce qu’ont expliqué à l’AFP des spécialistes de l’énergie et du climat ainsi qu’un acteur du secteur hydrogène.

De l’hydrogène disponible à l’état pur ? Non, il faut le fabriquer

La publication relayée sur Facebook affirme que l'hydrogène est l'élément "le plus abondant de l'univers" et qu'il est, de ce fait, disponible "à profusion" sur la planète. 

La première assertion est exacte : l'hydrogène, principal constituant des étoiles comme le soleil, est l'élément le plus abondant dans l'univers. Il est le plus petit, le plus simple et le plus léger des atomes, le tout premier sur la liste du tableau de Mendeleïev qui classe l'ensemble des éléments chimiques selon leur numéro atomique et leurs propriétés. 

4d05dd6f389982b4261d4a88bbec48d137f71d57-ipad.jpgTableau de Mendeleïev (Commissariat à l'énergie atomique aux énérgies - CEA)

"Il est l’atome le plus répandu dans l’Univers dont il constitue plus de 90% des atomes et 75% de la masse", peut-on lire sur le site d’information pédagogique Connaissance des énergies.

Cependant, sur Terre, cet élément n'est quasiment pas présent à l'état pur. Il est toujours lié à d'autres atomes, par exemple dans la molécule d'eau (H2O) ou dans celle des hydrocarbures, comme le méthane (CH4). 

L'hydrogène naturel existe bel et bien dans des cavités, à certains endroits du globe, "mais on parle de quantité limitée et ces gisements sont encore très peu investigués aujourd’hui", explique Emmanuel Bensadoun, responsable du pôle Expertise/Etudes à France Hydrogène, qui fédère les principaux acteurs de la filière française. 

"Le phénomène est bien connu, il est très intéressant d’un point de vue scientifique et la recherche est très active dans ce domaine. En revanche, à l’heure actuelle et à des échelles industrielles, on est tout à fait incapables de dire si on est en mesure d’exploiter ce flux ou non", complète Pierre Sacher, ingénieur projet hydrogène à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), organisme d'Etat. 

"L’hydrogène, on ne le capte pas, on le fabrique", ajoute l'ingénieur. 

En effet, comme il n’est pas disponible en quantité suffisante sur la planète, il faut d’abord le synthétiser pour pouvoir l’utiliser comme vecteur énergétique dans l’industrie ou encore dans les transports.

Et forcément, "aller chercher cet hydrogène, ça consomme de l’énergie. Ca n'est ni un hydrogène gratuit, ni abondant", précise Emmanuel Bensadoun.

95% de l’hydrogène produit à partir d’énergies fossiles

L’hydrogène permettrait de faire rouler des véhicules "sans pollution" et "uniquement avec des rejets écologiques", prétend encore le post Facebook.

Certes, l’hydrogène n’émet pas de gaz à effet de serre lorsqu’il est utilisé dans une voiture ou un camion par exemple, contrairement aux énergies fossiles.

Mais "il est essentiellement produit à partir de gaz naturel (CH4) par un processus qu’on appelle le craquage de méthane ou vaporeformage", explique Ines Bouacida, chercheuse Climat-Énergie à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).

"C’est un processus carboné ", précise la spécialiste, "3% des émissions nationales de gaz à effet de serre correspondent d'ailleurs à la production d’hydrogène en France".

"Le reformage de gaz naturel produit de l’hydrogène mais aussi du dioxyde de carbone, avec un rapport autour de 9 – 10 kg de CO2 par kg d’H2, pour un hydrogène produit en France", indique Pierre Sacher, ingénieur projet hydrogène à l’ADEME.

Le craquage de méthane, qui consiste à casser la molécule de méthane (CH4) pour isoler de l’hydrogène (H2), est le mode de production dominant de l’hydrogène synthétisé : dans le monde, ce dernier est fabriqué à 95% à partir de gaz naturel ou d'autres hydrocarbures selon le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

Aujourd’hui, 10 millions de tonnes d’hydrogène sont produites chaque année au sein de l’Union européenne, dont un million en France. Dans les deux cas, ici encore, majoritairement à partir d’énergies fossiles qui génèrent des gaz à effet de serre et contribuent, de ce fait, au réchauffement climatique.

"L’hydrogène peut être comparé à de l’électricité dans le sens où c’est un vecteur d’énergie : à l’endroit de son utilisation, il n’y a pas de rejet de gaz à effet de serre, comme pour les procédés électriques. Mais en amont, lors de sa production, il y a des impacts potentiellement considérables sur le réchauffement climatique selon le moyen de production mobilisé", conclut Pierre Sacher.

L’électrolyse de l’eau : pour un hydrogène "propre" ?

Dans ses objectifs climatiques, la Commission européenne envisage une production annuelle de 10 millions de tonnes d'hydrogène renouvelable au sein de l'Union européenne (UE) d'ici à 2030, et l’importation de 10 millions de tonnes d’hydrogène renouvelable.

Cela suppose de totalement modifier les modes de production de ce vecteur énergétique.

Pour ce faire, l’institution mise sur une autre technologie : l’électrolyse de l’eau. Celle-ci permet de décomposer chimiquement la molécule d'eau (H2O) en dioxygène et en hydrogène, grâce à l’action d’un courant électrique, sans recours aux énergies fossiles.

Le commissaire chargé du marché intérieur, Thierry Breton, a ainsi déclaré en mai 2022 : "L'hydrogène propre est indispensable pour réduire les émissions industrielles de carbone et contribuer à notre indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. [...] Aujourd'hui, l'industrie a accepté de multiplier par dix les capacités de construction d'électrolyseurs en Europe."

L'électrolyse de l'eau figure aussi dans la stratégie française pour le déploiement de l’hydrogène à plus faible impact climatique, "pour peu que des ressources électriques convenables soient mobilisées", spécifie l'ingénieur de l'ADEME Pierre Sacher.

En effet, l'impact climatique de ce procédé encore très peu déployé n'est pas totalement neutre ; il dépend de l'origine des ressources auxquelles il fait appel.

"Tout dépend d’où vient l’électricité utilisée", détaille la chercheuse Ines Bouacida. "Il y a un enjeu à avoir des ressources en électricité renouvelable et nucléaire suffisantes. Si l’électricité est propre, on a de l’hydrogène qu’on peut également considérer comme propre."

a1bee971fcc10642a3bf9d87d5cba65db9247ace-ipad.jpgInfographie représentant les différentes techniques de production de l'hydrogène

En tout cas, le recours à l'hydrogène n'est pas considéré comme pertinent dans tous les secteurs. 

"Aujourd’hui, on a par exemple des véhicules particuliers électriques qui fonctionnent bien et qui sont moins chers, à l’achat, que des véhicules hydrogène. Alors on ne voit pas trop l’intérêt de développer massivement des véhicules à hydrogène. Après, sur d’autres applications énergétiques, c’est vrai que l’hydrogène a une pertinence. Mais il faut toujours l’évaluer par rapport à des alternatives", explique ainsi Ines Bouacida.

"Dans une logique de production de masse, ce n’est pas pérenne d’investir sur une seule technologie, on intérêt à les diversifier", complète le responsable du pôle Expertise/Etudes à France Hydrogène Emmanuel Bensadoun. 

Dans la transition énergétique en cours, pour remplacer le carburant émetteur des voitures, c’est plutôt les batteries à lithium-ion qui sont privilégiées dans le monde entier, même si certains constructeurs planchent sur des gammes de véhicules utilitaires légers à hydrogène.

9e7325d7250507ca671ee70a9a14bb6602b46356-ipad.jpgUn employé travaille sur une pile à hydrogène à Herten, dans l'ouest de l'Allemagne, le 3 mars 2022 (AFP / INA FASSBENDER)

"On envisage surtout d'utiliser l'hydrogène dans le secteur de l’industrie pour la fabrication d’acier [pour remplacer le charbon, lui aussi émetteur de gaz à effet de serre] ou d’ammoniac et de méthanol et dans le transport longue distance", ajoute la chercheuse.

Le transport dit "à haute intensité" est aussi candidat, par exemple les énormes camions dans les sites miniers, ou des flottes de taxis utilisées 24H/24. Déjà, des essais de trains à hydrogène ont eu lieu, et une flotte de taxis à hydrogène est en fonctionnement à Paris.

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