Le réchauffement climatique surévalué à cause de l'indicateur thermique de Météo-France ? C'est faux


Le réchauffement climatique surévalué à cause de l'indicateur thermique de Météo-France ? C'est faux

Publié le jeudi 6 avril 2023 à 10:32

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(AFP)

Auteur(s)

Bénédicte REY, AFP France

Des internautes accusent Météo-France de surévaluer le réchauffement climatique dans l'Hexagone en utilisant un outil, l'indicateur thermique national, qui ne prendrait en compte que des relevés effectués dans des zones urbaines. Cet argument est trompeur, selon plusieurs climatologues interrogés par l'AFP. Cet indicateur n'est pas l'outil dont se servent les scientifiques pour estimer le changement climatique. Et s'il est vrai que le réchauffement est plus intense dans les zones urbaines que dans les zones rurales, celui-ci est observable aussi bien à la ville qu'à la campagne. 

Alors que plusieurs records de chaleur (lien archivé ici) ont été battus fin mars dans le Sud-ouest de la France avec des températures localement supérieures de 10 à 12 degrés par rapport aux normales de saison, une série de tweets remet en cause la pertinence de l'indicateur thermique national, utilisé par Météo-France pour mesurer ces anomalies.

"Paradoxalement 28 des 30 [stations utilisées dans l'indicateur, NDLR] sont dans des zones de plus de 300 hab/km2. Seuls Châteauroux-Déols et Bourg-Saint-Maurice n'ont pas connu de développement urbain ce dernier siècle. Surtout Châteauroux. Même en Corse, ils ont choisi la seule zone rouge", écrit cet internaute. "C'est une mesure des températures urbaines".

32aefa8dc855868e2594560d3c79cb088482c782-ipad.jpgCapture d'écran effectuée sur Twitter le 31 mars 2023

En utilisant de nombreux graphiques sur l'évolution des températures depuis plus d'un siècle dans diverses stations urbaines et rurales voire ultra-marines (Châteauroux, Paris-Montsouris,  Lourdes, îles Kerguelen...), il conclut : "la température dans les villes très denses et ayant une forte urbanisation en 2022 en France est la plus haute depuis le début des mesures. Point barre. Ceci est extensible au Monde".

Son argumentaire a notamment été repris sur Facebook, par un internaute qui écrit : "Comment vous faire croire que les températures augmentent en France bien plus qu'elles n'augmentent en réalité ? Il suffit d'installer les systèmes de mesure dans les villes qui se développent le plus". Un autre s'offusque :"les gars découvrent qu'il fait plus chaud dans des endroits goudronnés et sans végétation qu'à la campagne quoi [sic] et en tirent la conclusion d'un réchauffement global"

Mais plusieurs climatologues interrogés par l'AFP soulignent que l'évaluation de l'ampleur du réchauffement climatique en France depuis l'ère préindustrielle repose sur un processus bien plus complexe que le seul relevé des mesures de températures sur les stations de l'indicateur thermique. Et tous affirment que si les températures augmentent de façon plus intense dans les zones urbaines, le réchauffement climatique est aussi une réalité dans les zones rurales.  

Qu'est-ce que l'indicateur thermique national et à quoi sert-il ?

L'indicateur thermique national est calculé à partir de trente séries de températures réparties de façon homogène en France métropolitaine.

"Cet indicateur nous est vraiment très utile et précieux pour une caractérisation de la météo au jour le jour et pour une caractérisation du climat mois après mois, saison après saison", a expliqué le 3 avril à l'AFP Christine Berne, climatologue à Météo-France. "Cet indicateur est très précieux pour pouvoir dire par exemple: cette année au mois de mars, les températures moyennes montrent une anomalie de x degrés par rapport à la normale 1991-2020".

"L'indicateur thermique France nous permet de vérifier un peu année après année [le changement climatique, NDLR], d'avoir un diagnostic français du suivi climatique, qui s'intègre dans un suivi européen et mondial. Mais pour savoir si la France se réchauffe et estimer de combien, là, on a d'autres outils. Vous pensez bien qu'on n'a pas seulement nos trente petites stations !", a-t-elle ajouté. "Les chercheurs de Météo France comme les autres chercheurs sur le climat utilisent toutes les mesures possibles et imaginables et font ensuite des modélisation avec différentes hypothèses et un temps d'analyse plus long".

14fbd65c74d08edf6fce031b1cfd584e90d0e359-ipad.jpgCapture d'écran de l'indicateur thermique national effectuée sur le site infoclimat.fr le 31 mars 2023

"L'influence urbaine est difficile à séparer du réchauffement climatique. C'est une vrai question, mais elle a été tranchée scientifiquement il y a déjà 20 ans", a expliqué à l'AFP le 31 mars Yves Richard, géographe et climatologue à l'Université de Bourgogne (lien archivé ici). Pour estimer le réchauffement climatique, "les organismes ne prennent pas des séries brutes, celles qui sont relevées par des capteurs de températures. Elles sont corrigées en fonction des séries environnantes. C'est tout un travail qui permet de supprimer l'effet urbain dans ces séries".

Des critères internationaux

Les métadonnées des 30 stations composant l'indicateur thermique sont publiques (liens archivé ici). Outre leur répartition sur le territoire, ces stations ont été choisies pour obtenir les meilleures séries de mesures et surtout les plus longues.

"Il y a des stations météos partout, mais les stations les plus anciennes sont très souvent situées dans des aéroports, car il y a un lien très fort entre l'aéronautique et la météo", explique M. Richard. 

"Les aéroports sont souvent situés en périphérie des villes, les villes s'étant étendues depuis une centaine d'années, des stations qui étaient historiquement en milieu rural sont devenues des stations périurbaines, qui ont été influencées par la croissance des villes", ajoute-t-il.

Pour autant, les installations des stations météorologiques répondent à des normes internationales strictes.  

Gaétan Heymes (lien archivé ici), ingénieur prévisionniste à Météo-France a publié sur Twitter le 28 mars des photos de plusieurs de ces stations, montrant qu'elle sont situées sur des terrains dégagés.

7fcb16e6c44fa06212846e6473f23fbdea574978-ipad.jpgCapture d'écran prise le 31 mars sur Twitter

Pour chaque station, "chaque paramètre (température, vent, humidité, rayonnement...) est associé à une classe de mesure qui va de 1 à 5. La meilleure est la classe 1", explique-t-il. Cette classe (lien archivé ici), qui correspond aux normes de l'Organisation météorologique mondiale (OMM) prévoit notamment que la station doit être installée à plus de 100 m de sources de chaleur artificielles (bâtiment, aires bétonnées, parking...). "Sur les 30 stations de l'indicateur, 11 respectent la classe 1, 10 de classe 2, 4 de classe 3 et 5 de classe 4", poursuit-il.

05b3b58f3ac97a080ca2f9c84fd2130458d0d099-ipad.jpgCapture d'écran prise sur Twitter le 31 mars 2023

"Les normes de mesure internationales nous imposent que les abris météorologiques ne soient ni sur du bitume, ni à une certaine distance d'un mur, ni sous un arbre. Tous nos capteurs et nos abris de l'indicateur thermique sont de la haute couture. Ils sont localisés en général avec du gazon, dans des abris qui sont les plus modernes, plastifiés. Alors qu'il y a 70 ans, on avait des abris en bois qui laissaient passer la chaleur, la porte s'ouvrait côté sud", détaille Mme Berne.

La modification de l'environnement n'est en effet pas la seule à avoir une influence sur les températures relevées au fil des décennies dans les stations de l'indicateur thermique. 

"Là, on parle de l'environnement, mais il y a plein d'autres problèmes : les changements de capteurs, d'abris... Il faut prendre en compte des questions très complexes pour avoir des données corrigées de tout ces éléments qui viennent perturber le signal", souligne M. Richard. 

Le site de Météo-France explique (lien archivé ici) comment sont homogénéisées les longues séries de données. "Le déplacement des postes climatologiques au cours du temps, la modification des sites de mesure, de l'instrumentation, des méthodes de calcul des paramètres météorologiques et les changements d'observateurs peuvent se traduire par des ruptures dans les séries de données", peut-on y lire. "Des méthodes statistiques permettent de repérer ces ruptures d'homogénéité non liées au climat, par comparaison avec des séries appartenant à la même zone climatique".

Différencier météo et climat

Dans la deuxième partie de son argumentaire, l'internaute publie une série de graphiques montrant, selon lui, qu'il n'y a pas eu de hausse des températures dans des stations situées dans des endroits n'ayant pas connu de forte augmentation de leur urbanisation au cours des dernières décennies ou qui étaient déjà densément peuplés au début du XXe siècle. Il prend notamment l'exemple de Châteauroux et celui de Paris où, on observe "une petite augmentation , mais plutôt un retour aux températures de 1890".

185654650fcdbddb2f0b4bdd8fb9613060430228-ipad.jpgCapture d'écran effectuée sur Twitter le 31 mars 2023

60a08d0b1df77d602b71f43bf594db99ea191935-ipad.jpgCapture d'écran effectuée sur Twitter le 31 mars 2023

Faux, lui répond Gaétan Heymes sur Twitter pour chacun des cas avancés. "Il y a bien une tendance au réchauffement à Châteauroux. Elle est claire, de l'ordre de +1,2°C ces trente dernières années pour la température moyenne", écrit-il.  Quant à Paris, "en regardant la température moyenne annuelle, la dernière décennie du XIXe siècle était bien plus froide que la décennie qui vient de s'écouler".

"Il y avait 2 millions d'habitants à Paris-Montsouris [nom de la station, NDLR] au début du XXe siècle, il y en a 12 millions d'aujourd'hui, donc l'effet de chaleur de l'îlot urbain y est plus fort aujourd'hui qu'en 1900. Les températures s'y sont encore plus réchauffées qu'ailleurs à cause du changement climatique et parce que la ville s'est développée", abonde Yves Richard.

671634c3442b728faac26506fbef27d8c12c96a8-ipad.jpgCapture d'écran prise sur Twitter le 31 mars 2023

0a5e3ea1b52bdeec278d429bd2d3388a415f6849-ipad.jpgCapture d'écran prise sur Twitter le 31 mars 2023

Pourquoi la courbe du réchauffement climatique semble-t-elle plate sur les graphiques présentés par l'internaute ? Parce que l'échelle utilisée est trompeuse, répondent les scientifiques interrogés par l'AFP. En plaçant l'évolution de la température moyenne sur le long terme sur le même plan que l'évolution des températures au jour le jour, celle-ci est écrasée. 

"Il crée un bruit tellement plus grand qu'on ne voit plus le signal", a expliqué le 31 mars à l'AFP le climatologue Benjamin Pohl (lien archivé ici), directeur de recherches au CNRS au sein du laboratoire Biogéosciences. "D'un jour sur l'autre, la météo peut faire varier la température de plusieurs degrés. Entre les étés et les hivers, il y a des différences de plusieurs dizaines de degrés, c'est quelque chose de normal, de naturel. Le changement climatique, c'est quelque chose qui se rajoute à ça et qui est d'un ordre de grandeur plus petit que ça. Pour le moment, on est à +1,7 degré depuis l'ère préindustrielle."

Et en matière d'impact du réchauffement climatique, chaque dixième de degré compte, rappelle régulièrement (archive) le GIEC et les spécialistes du climat.

"Si on a 20 degrés de différence de température entre l'été et l'hiver, le changement climatique apparaît comme quelque chose de petit. Ce n'est pas pour autant qu'il n'a pas lieu", ajoute-t-il.

Le programme européen d'observation de la Terre Copernicus (lien archivé ici), dont l'un des missions est de fournir des indicateurs de la hausse des températures en s'appuyant à la fois sur des observations par satellite et in situ, a développé une application  (lien archivé ici) permettant de visualiser l'évolution des anomalies de températures pour n'importe quel lieu donné. Le résultat d'une recherche pour Châteauroux montre clairement une augmentation des températures:

f31594009d48b238b92c826c623e127c6f7cd759-ipad.jpgCapture d'écran de l'évolution des anomalies de température à Châteauroux entre 1979 et 2020, selon l'application développée par Copernicus

"Le réchauffement climatique s'observe à peu près partout, dans les zones rurales comme en ville, en plein milieu des océans et sur les continents",  souligne M. Pohl. "Il y a quelques régions du monde pour lesquelles on a encore du mal à le voir, comme l'Antarctique-est, qui est isolé du reste par de l'air froid. Mais pour toutes les autres régions, on l'observe partout, campagne comme ville, avec des rythmes qui peuvent être différents." 

f4f4cb72e592db3c27d2524223116bded84ff00a-ipad.jpgCarte animée: 40 ans d'anomalies mensuelles de température

+1,66 degré en France

D'après une étude (lien archivé ici)  publiée en octobre 2022 par des chercheurs du CNRS, du Centre national de la recherche météorologique (CNRM) et du Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique (Cerfacs),  la température actuelle moyenne de la France est de 1,66 degré supérieure à la période 1900-1930. 

Selon les chercheurs, les températures pourraient y augmenter en 2100 de 3,8 degrés par rapport au début du XXe siècle, soit plus que la moyenne mondiale, si les émissions de gaz à effet de serre ne baissent pas drastiquement.

6cf8a178d0a7464b7a1aa473244bd2a9b5b25a4f-ipad.jpgCarte montrant la transposition d'un climat d'une ville à l'autre entre les périodes 1961-1990 et 1991-2020 (AFP)

Le rapport de synthèse des experts climat de l'ONU (Giec) publié le 20 mars 2023 (lien archivé ici), a montré que la planète avait déjà gagné en moyenne 1,1 degrés depuis l'ère pré-industrielle en raison des gaz à effet de serre générés par les activités humaines.

Et dans son rapport provisoire sur l'état du climat en 2022 publié le 12 janvier dernier (lien archivé ici), l'Organisation météorologique mondiale (OMM) souligne en outre que les "huit dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées au niveau mondial". L'organisme précise que pour arriver à ces estimations, il combine "des millions de données d'observation météorologiques et océaniques, y compris satellitaires, en alimentant un modèle météorologique pour obtenir une réanalyse complète de l'atmosphère". "L'association des observations et des valeurs modélisées permet d'estimer les températures à tout moment, partout dans le monde, même dans les régions où le réseau d'observation est peu dense, comme au voisinage des pôles."

Bien qu'elle fasse aujourd'hui consensus au sein de la communauté scientifique, l'existence du changement climatique causé par l'Homme est régulièrement remise en question sur les réseaux sociaux. Ces derniers mois, l'AFP avait aussi vérifié plusieurs publications trompeuses sur le climat, notamment concernant l'évolution des températures dans le monde (lien archivé ici), les modèles climatiques (archivé ici), une déclaration niant l'urgence climatique (archivé ici), ou encore sur les températures en Arctique (lien archivé ici).

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