Les chats et les chiens, des "catastrophes" pour la biodiversité et le climat ? Attention à ce raccourci
Les chats et les chiens, des "catastrophes" pour la biodiversité et le climat ? Attention à ce raccourci
Publié le mardi 26 décembre 2023 à 11:17
(MANJUNATH KIRAN / AFP)
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Alexis ORSINI / AFP France
Alors que la COP28, la conférence annuelle de l'ONU sur le climat, s'achevait à Dubaï en décembre 2023, le politologue François Gemenne, membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), a affirmé mi décembre sur le plateau de LCI que "le chat est une catastrophe pour la biodiversité" et le chien une "catastrophe pour le climat". Des propos qui ont vivement fait réagir de nombreux internautes, ainsi que la SPA et certaines personnalités politiques. Si les animaux domestiques ont bien un impact sur le climat et la biodiversité, il reste en réalité très limité par rapport à toutes les autres sources de dérèglement du climat et de la biodiversité, expliquent plusieurs spécialistes en nutrition animale et de l'impact du chat sur la faune sauvage.
"François Gemenne, membre du GIEC nous explique qu'il faut tuer les chiens et les chats pour sauver la planète", "D’après le GIEC [...], posséder un chat et un chien serait anti-écolo, et une catastrophe pour la Terre" : sur X (ex-Twitter) - 1, 2, 3 - comme sur Facebook (4, 5, 6), des internautes s'indignaient, mi-décembre 2023, d'une intervention récente de François Gemenne, membre du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) sur le plateau de LCI.https://perma.cc/G559-G7UV
Le 13 décembre 2023, le professeur de géopolitique de l'environnement à Sciences Po affirmait sur le plateau de la chaîne d'info en continu (lien archivé), à l'occasion d'un débat sur l'impact du chat sur la biodiversité : "Est-ce que vous voulez la vérité ? Est-ce que vous êtes prêts à être ensevelis de coups de fil et de courriers mécontents de téléspectateurs ? Oui, le chat est une catastrophe pour la biodiversité, le chien est une catastrophe pour le climat. On n’en parle jamais."
"On n’en parle jamais parce qu’il y a plus de foyers en France qui possèdent un chat ou un chien que de foyers qui ont un enfant. [...] [C’est une catastrophe] parce que le chat est un des responsables de la perte de biodiversité en milieu urbain, notamment parce qu’il va chasser des oiseaux ou des petits mammifères", poursuivait le chercheur.
"Et les chiens, surtout les gros chiens, sont une catastrophe pour le climat parce qu’il faut les alimenter et aujourd'hui une bonne partie de la déforestation sert aux cultures qui vont servir aux aliments pour les animaux domestiques", ajoutait-il.
Dans ses propos, le chercheur n'a jamais appelé à "tuer" les chiens et les chats, contrairement à ce qu'affirment certains internautes, mais a souligné "la fonction sociale importante" des chats et des chiens.
Dans la foulée, outre la Société protectrice des animaux (SPA), qui a diffusé, sur X (lien archivé), un message critique ("Personne n'avait encore osé culpabiliser les amis des animaux. C'est fait !"), certaines personnalités politiques, telles que Florian Philippot, président du mouvement d'extrême droite les Patriotes, ont condamné sur la même plateforme un supposé "narratif" anti-animaux, visant selon lui à "dé-socialiser les gens au maximum, jusqu’à leur retirer leurs chiens et chats, au nom du 'climat' et pour notre 'bien' évidemment !"
Le lendemain de son intervention remarquée, François Gemenne revenait sur ses propos lors d'un passage dans l'émission Quotidien (lien archivé), expliquant notamment avoir reçu de nombreuses menaces de mort de défenseurs de la cause animale :"Je regrette sincèrement l'ampleur qu'a pris cette polémique. [...] Dès qu'on va pointer que tel animal a une empreinte carbone, les gens vont se sentir attaqués personnellement et vont dire : 'ah là là, c'est comme si on voulait éradiquer les chiens'. Alors que l'enjeu, c'est de reconnaître quel est notre bilan carbone à tous et de voir ce qu'on peut faire pour l'améliorer."
Comme l'indiquent à l'AFP plusieurs spécialistes de la nutrition animale et de l'impact des chats sur la faune sauvage, les affirmations de François Gemenne doivent être nettement nuancées.
"Les grands raccourcis faits [par François Gemenne sur la prédation des chats] font que finalement le message est faux", indiquait à l'AFP le 15 décembre 2023 Elsa Bonnaud, enseignante-chercheur à l'université Paris-Saclay, qui travaille sur l'impact des chats sur la biodiversité.
Anne-Laure Dugué, responsable du programme Faune en détresse à la Ligue de protection des oiseaux (LPO), abondait le 20 décembre 2023 : "Incriminer le chat en disant que c'est à cause de lui que la biodiversité est en danger, c'est un raccourci énorme, qu'on ne souhaite pas faire à la LPO."
"Pour le chien, si on regarde l'impact [écologique] par analyse de cycle de vie, on est très loin d'être sur une catastrophe", nuançait pour sa part le 19 décembre 2023 à l'AFP Sébastien Lefebvre, maître de conférences en nutrition animale à VetAgroSup.
"Si vous avez un petit chihuaha qui est nourri aux croquettes, il va avoir un petit impact mais si vous avez un saint-bernard qui mange un kilo de filet de boeuf par jour, il aura un énorme impact", soulignait pour sa part le 20 décembre 2023 à l'AFP Charlotte Devaux, vétérinaire nutritionniste.
Les croquettes pour chiens, composées de coproduits de viande non consommés par l'homme
L'impact environnemental de la nourriture pour chiens fait l'objet de débats entre les scientifiques depuis de nombreuses années.
En 2009, le livre Il est temps de manger le chien de Brenda et Robert Vale provoquait la colère des propriétaires d'animaux en concluant que l'énorme consommation de viande par un chien de taille moyenne avait un impact sur la planète deux fois supérieur à celle d'un SUV conduit sur 10.000 km.
"Ce livre a été le premier à parler du poids écologique des 'empreintes de patte' pour les différencier des 'empreintes des humains', il a été très cité et il est [souvent présenté] comme une étude alors qu'il s'agit d'un livre non relu par des pairs", résume Charlotte Devaux.
L'expression "empreintes de pattes" -"pawprints" en anglais - est calquée sur -"footprints"(littéralement "empreintes de pieds"), terme utilisé pour désigner l'impact écologique.
Comme le relatait une dépêche AFP de mars 2021 (lien archivé), dans une étude particulièrement reprise depuis sa parution en août 2017 (lien archivé), Gregory Okin, professeur à l'Université de Californie à Los Angeles, estimait par exemple que les 160 millions de chiens et chats américains étaient responsables de 25 à 30% de l'impact environnemental de la consommation de viande aux Etats-Unis. Soit 64 millions de tonnes de CO2, ou la conduite de quelque 13 millions de voitures pendant un an.
"Nombre d'études - y compris celle de Gregory Okin - se sont basées sur cette méthode consistant à dire : 'Les chiens mangent tant de kilocalories par jour, les croquettes sont composées de tant de produits animaux, donc ça fait autant de produits animaux mangés par an par les animaux'", pointe Charlotte Devaux.
Or, comme l'explique Sébastien Lefebvre, "un certain nombre de publications de personnes [...] qui ne connaissent pas la filière [de nutrition animale] ont présenté le chien et le chat comme mangeant de la viande. Ce qui, aujourd'hui, hormis dans le cas des rations ménagères, est complètement faux et représente même un non-sens économique."
"Dans les croquettes, on retrouve ce qu'on appelle des coproduits. Il y a un peu de viande mais ce n'est pas du filet, on y trouve beaucoup de choses qu'on ne mange pas nous en tant qu'êtres humains : des tripes, du coeur, de la viande non valorisée (qui passe notamment par les protéines animales transformées)... Ce sont des sources extrêmement intéressantes de nutriments mais qui, aujourd'hui, avec les évolutions de pratiques dans les pays riches, sont des sources qu'on ne consomme plus du tout [chez l'humain]", détaille l'expert.
Comme le détaille le Syndicat des industries françaises des coproduits animaux (Sifco) sur son site (lien archivé), on retrouve ainsi dans les croquettes pour animaux de compagnie des ingrédients issus de ces parties d’animal non destinées à la consommation humaine, tels que de la protéine animale transformée de volaille, de porc, de bovin, ou encore des cretons de porc et de bovin.
En pratique, il s'agit donc de viande optimisant celle consommée par l'homme, ce qui amène Sébastien Lefebvre à estimer que, si la nourriture pour animaux disparaissait demain, "on continuerait très certainement à consommer de la viande et on abattrait exactement le même nombre d'animaux, sauf qu'on en jettera plus et que notre viande sera plus chère."
De fait, les calculs de l'étude de Gregory Okin étaient basés sur de "nombreuses hypothèses inexactes", selon Kelly Swanson, professeur de nutrition animale à l'université de l'Illinois interrogée en mars 2021 par l'AFP, qui soulignait que "la majorité de la nourriture pour animaux vient de sous-produits de l'industrie alimentaire humaine".
Un poids écologique variable selon les pays
Depuis cette étude de 2017, d'autres recherches (lien archivé) ont été menées sur l'impact carbone de la nourriture pour animaux de compagnie, en tenant compte notamment de leur cycle de vie, c'est-à-dire de l'impact environnemental global d'un produit d'alimentation pour animaux de compagnie, de la collecte de ses ingrédients jusqu'à son utilisation, en passant notamment par sa fabrication et la production de son emballage, ainsi que le détaille sur son site (lien archivé) la Fédération européenne de l’industrie des aliments pour animaux de compagnie (Fediaf).
"Si on regarde l'impact par analyse de cycle de vie, on est très loin d'être sur une catastrophe. Pour un chien de 15 kilos, nourri aux croquettes en France - une alimentation qui représente plus de 90% des chiens [du pays, selon le rapport annuel 2022 de la Facco - Chambre syndicale des fabricants d'aliments pour chiens, chats, oiseaux et autres animaux familiers] -, on est plutôt dans les 130 kilos de CO2 annuel. Pour un chat nourri aux croquettes, on va être autour de 40-50 kilos de CO2 par an. On est donc très loin de la moyenne de 10 tonnes de CO2 émise chaque année par un Français", pointe Sébastien Lefebvre.
Outre la taille de l'animal, qui influe sur la quantité de nourriture consommée, le poids écologique de cette consommation par les animaux domestiques connaît de fortes disparités géographiques, ainsi que le rappelait en mars 2021 à l'AFP le professeur Pim Martens, de l'université de Maastricht, soulignant notamment que "dans certains pays comme les Pays-Bas [...], il y a de la viande produite pour la consommation animale".
Selon son étude parue en 2019 (lien archivé), un chien moyen (10 à 20 kg) émet sur toute sa vie de 4,2 à 17 tonnes de CO2 s'il vit aux Pays-Bas, 3,7 à 19,1 tonnes en Chine mais seulement 1,5 à 9,9 tonnes au Japon.
"Ce qu'il faut retenir, c'est que l'impact essentiel d'un animal de compagnie [en termes d'émission de CO2, NDLR], c'est son alimentation. Et l'alimentation qui a le moins d'impact, c'est les croquettes, de préférence ni avec du boeuf ni de l'agneau, mais plutôt du poulet ou du porc", résume Charlotte Devaux.
Non sans rappeler que le recours, chez certains propriétaires, à de l'alimentation BARF - un régime alimentaire à base de viande crue et donc équivalent à une ration ménagère - va en revanche "clairement à l'opposé de la tendance écologique".
Sébastien Lefebvre abonde : "D'un point de vue climatique, c'est une anomalie puisqu'un chien de 15 kilos va manger à peu près la même quantité de viande que celle mangée par un être humain. On va être à peu près sur du 1,3 tonne ou du 2 tonnes de CO2 par an."
Toutefois, comme le rappellent les deux spécialistes, ce mode d'alimentation est plus que minoritaire en France aujourd'hui, les chiens consommant à 94,6% des croquettes, selon le rapport annuel 2022 de la Facco.
L'impact difficilement quantifiable des chats sur la biodiversité
De son côté, si le chat a bien un impact sur la biodiversité en milieu urbain, il reste moindre par rapport à d'autres causes principales.
"Sur les continents, en milieu urbain, la première cause de perte de biodiversité c'est l'artificialisation de la nature : l'urbanisation, la fragmentation de l'habitat... Tous les changements d'utilisation des sols. Et, ensuite, tout ce qu'on utilise comme pesticides, etc. Ce sont les deux facteurs essentiels", souligne Elsa Bonnaud, enseignante-chercheure à l'université Paris-Saclay et spécialiste de l'impact des chats sur la biodiversité.
"Il y a bien d'autres raisons à la perte de la biodiversité, dont deux énormes que sont nos méthodes d'agriculture et l'urbanisation intensive, qui font que les espèces sont en grande difficulté", abonde Anne-Laure Dugué, responsable du programme Faune en détresse à la LPO.
"La prédation des chats peut s'y ajouter, surtout dans des territoires où l'urbanisation fait déjà que les territoires sont plus limités pour la biodiversité", poursuit la spécialiste, tout en rappelant la difficulté de chiffrer précisément ce phénomène, entre les chats domestiques, les chats errants et les chats harets - des félins domestiques retournés à l'état sauvage.
En France, parmi les sept centres d'accueil de la LPO, environ 11% des animaux accueillis le sont "suite à une prédation du chat, avec 90% d'oiseaux et 10% de mammifères", selon Anne-Laure Dugué.
Elsa Bonnaud pointe elle aussi la difficulté de quantifier l'impact des chats sur les oiseaux et autres mammifères : "Il y a des études et des expériences qui sont menées avec des caméras embarquées sur les chats et permettent d'avoir une meilleure idée [du phénomène], mais comme c'est un prédateur qui a la particularité de tuer sans consommer la proie, on ne peut pas faire d'estimation précise."
Comme le détaille sur son site (lien archivé) le Muséum d'Histoire naturelle, une étude de 2013 (lien archivé) estimait que les chats domestiques circulant en liberté aux Etats-Unis causaient chaque année la mort d'entre 1,4 et 3,7 millions d’oiseaux et 6,9 à 20,7 millions de petits mammifères.
La prédation des chats, bien plus dangereuse pour la biodiversité sur les îles
Surtout, ainsi que l'explique l'institution, l'introduction du chat dans des milieux vulnérables, comme l’archipel arctique des Kerguelen, "a été dévastatrice pour les populations endémiques" alors que le chat reste un "prédateur parmi d'autres" dans les zones où il n'est pas une espèce invasive, telles que les campagnes françaises - le pays comptant environ 15 millions de chats domestiques en 2022, selon la Facco (lien archivé).
Elsa Bonnaud souligne ainsi la différence d'impact considérable entre la prédation des chats sur les continents et sur les îles : "Le chat est responsable en partie d'une diminution du nombre de moineaux, de rouge-gorge, d'oiseaux comme ça, mais il n'a pas fait disparaître une espèce sur les continents."
"Les chats ayant été été introduits récemment sur les îles (à l'échelle des temps évolutifs), il a été responsable - avec d'autres mammifères - d'extinctions d'espèces. Essentiellement des oiseaux marins, de la famille des albatros. Alors que sur les continents, où ils sont présents depuis plus de dizaines de milliers d'années, un processus de co-évolution a été possible entre les proies et les prédateurs", poursuit la spécialiste.
Non sans pointer un risque potentiel : "Plus il y a d'humains, plus il y a de chats de compagnie : si on ne maîtrise pas au moins par la stérilisation la population de chats, dans certains endroits avec beaucoup de chats domestiques et errants, ces derniers vont consommer dans le milieu naturel. Et comme ils chassent indépendamment de la faim, ça peut faire à terme de grosses baisses de taille de population. Ca peut être une catastrophe si on laisse faire, qu'on en a plein et qu'on ne stérilise rien. [...] Mais ce n'est pas le cas à l'heure actuelle."
Pour réduire la prédation de la faune sauvage par les chats, la LPO encourage donc, sur son site (lien archivé), "la stérilisation généralisée des chats domestiques, errants et harets, le renforcement de l’identification et du suivi des animaux domestiques", ainsi que l’éducation et la responsabilisation des propriétaires de chats face à leur impact sur la faune sauvage, en leur suggérant notamment des installations ou conseils permettant d'éviter la prédation dans les jardins de particuliers.
"On invite aussi les gens, après une averse importante, à ne pas laisser leur chat sortir tout de suite mais à attendre dix minutes, un quart d'heure, le temps de laisser à la faune le temps de récupérer", ajoute Anne-Laure Dugué.
Selon la Commission européenne, qui a présenté en décembre 2023 de nouvelles règles visant à améliorer le bien-être animal, les citoyens de l'Union européenne possèdent "plus de 72 millions de chiens et plus de 83 millions de chats", un marché dont le chiffre d'affaires est estimé à 1,3 milliard d'euros par an.
L'élevage, pour sa part, est à l'origine de 12% des émissions de gaz à effet de serre causées par les humains et son impact sur le climat s'aggravera si rien n'est fait puisque la demande mondiale en viande va augmenter, selon un rapport (archive) de l'organisation de l'ONU pour l'agriculture FAO publié le 8 décembre.
Pour réduire les émissions du secteur, l'agence onusienne préconise avant tout d'augmenter la productivité de l'ensemble de la chaîne, de changer l'alimentation des animaux et d'améliorer leur santé. Elle évoque aussi la réduction de la consommation de viande dans les pays riches comme une piste mais à la portée limitée.
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