"La Montagne : 'Les sanctions contre la Russie ont provoqué une épidémie de punaises de lit à Paris' [...] Il s'avère qu'en raison des sanctions, un composant important des pesticides antiparasitaires n'est plus livré à la France depuis la Russie. Ils l'ont remplacé par un autre, mais il s'est avéré inefficace, alors les insectes les mangent" : sur Facebook (1, 2, 3) comme sur X (ex-Twitter ; 4, 5, 6), depuis début octobre, des publications affirment que la présence actuelle de punaises  de lit en France serait la conséquence des sanctions économiques prises contre la Russie. 

Cette idée se retrouve aussi sur un compte Telegram pro-russe.

D'autres messages avancent que "l'agent anti-punaises de lit utilisé dans les meubles et la plupart des matériaux en bois est fabriqué en Russie" et qu'en raison des sanctions imposées sur "cette substance", "les pulvérisations contre les punaises de lit ont été arrêtées".

Ces publications citent systématiquement La Montagne comme source de cette affirmation, souvent en partageant la capture d'écran d'un article prétendument publié par le média, qui daterait du 4 octobre 2023 et serait intitulé "Les sanctions contre la Russie ont entraîné une épidémie de punaises de lit à Paris". 

Mais, contactée par l'AFP le 18 octobre 2023, La Montagne a démenti avoir publié un tel article, dénonçant une "contrefaçon" qui utilise d'ailleurs une police de caractère légèrement différente de celle du quotidien. 

Si l'inquiétude autour des punaises de lit fait l'objet, depuis plusieurs semaines, d'une importante couverture médiatique en France , notamment à l'approche des Jeux Olympiques de Paris en 2024, leur présence sur le territoire est bien antérieure aux lourdes sanctions internationales prises contre la Russie depuis son invasion de l'Ukraine, début 2022 - qui confrontent aujourd'hui le pays à une série de difficultés économiques (inflation, affaiblissement du rouble, pénuries de main d'oeuvre dans certains secteurs, fuite des cerveaux à l'étranger, chute importante des revenus liés à la vente des hydrocarbures). 

"Les punaises de lit sont en situation de présence [en France] depuis maintenant de nombreuses années, donc elles étaient déjà là quand le conflit a démarré il y a un an", indiquait à l'AFP, le 19 octobre 2023, Stéphane Bras, porte-parole du CS3D, le syndicat des acteurs de l'hygiène antiparasitaire, en soulignant que "les inquiétudes" du syndicat à ce sujet "remontent facilement à trois ou quatre ans". 

Joint par l'AFP le même jour, Nicolas Roux de Bézieux, co-fondateur du site Badbugs, qui met en relation des particuliers avec des professionnels de lutte contre les nuisibles, abondait : "L'erreur [est] de croire que l'augmentation des punaises de lit est forte et soudaine. En réalité, elle est constante et progressive depuis des années." 

Des changements de produits strictement encadrés

Les chiffres dévoilés en juillet 2023 (lien archivé) par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) indiquent en effet qu'en France, plus d'un foyer sur dix a été touché par les punaises de lit ces cinq dernières années.

"Il n'y a pas de pic de punaises de lit beaucoup plus fort que les autres années. [...] Septembre-octobre, c'est vraiment la grosse saison des punaises de lit. Il y a vraiment un creux de la vague autour de décembre-janvier-février-mars-avril, c'est plus calme, et ça repart la plupart du temps avec les ponts de mai, quand les gens se déplacent, et ça monte progressivement pour atteindre un pic en août-septembre-octobre", détaille Nicolas Roux de Bézieux. 

Le recours à de nouveaux types d'insecticides à cause de l'indisponibilité de composants venant de Russie, tel qu'évoqué dans les publications virales, n'a pas plus de fondement, comme le souligne Stéphane Bras : "Les produits utilisés doivent forcément être validés par des autorisations de mise sur le marché de l'Anses. Les fabricants de produits, si tant est qu'ils avaient eu des difficultés d'approvisionnement ou de modification dans leur formule, doivent tenir au courant l'Anses d'un quelconque changement et obtenir une nouvelle validation pour pouvoir vendre leur produit, et nous permettre de l'acheter." 

De fait, comme le souligne le porte-parole du CS3D, aucune modification des insecticides utilisés n'a été observée ces derniers mois - mais de nombreux remèdes peu efficaces, voire dangereux, sont en revanche mis en avant sur les réseaux sociaux. 

Par ailleurs, le recours à des traitements préventifs sur du mobilier en bois n'a pas grand intérêt pour faire face aux punaises de lit, ces dernières ne creusant pas de nid sur ce type de support, dont elle ne se nourrit pas non plus.  Or, "le traitement du bois par des produits vise plus à empêcher l'accès aux insectes dont c'est la nourriture ou l'habitat", souligne l'expert.

La Montagne, un média français parmi d'autres victime d'une usurpation d'identité

Disparus de la vie quotidienne dans les années 1950, ces insectes qui se nourrissent de sang humain ont fait leur grand retour depuis une trentaine d'années dans les pays développés à la faveur d'un mode de vie plus nomade, de consommations favorisant l'achat de seconde main et d'une résistance croissante aux insecticides.

Depuis la  rentrée, les punaises de lit semblent s'être immiscées dans les moindres recoins du quotidien des Français, au point que début octobre 2023, le gouvernement a tenté de rassurer face à l'angoisse suscitée par des signalements de punaises de lit, rapportés abondamment jusque dans les médias étrangers. 

Si ces nuisibles suscitent une telle inquiétude, "c'est parce que le problème concerne tout le monde, quel que soit l'âge ou le statut social, les riches comme les pauvres", estimait auprès de l'AFP le 4 octobre 2023 (lien archivé) Pascal Delaunay, parasitologue et entomologiste médical au CHU de Nice (sud-est). "Certes la punaise de lit n'est pas vecteur de maladies, mais c'est épuisant physiquement et nerveusement".

Les craintes ont récemment gagné Londres, dont le maire Sadiq Khan a mis en avant, le 10 octobre 2023 (lien archivé), les mesures de nettoyage mises en oeuvre dans les transports.

La Montagne n'est pas le premier média français à faire l'objet d'une contrefaçon sur les réseaux sociaux pour relayer un narratif pro-Kremlin.

Depuis le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, l'AFP a notamment consacré articles de vérification à une fausse vidéo du Monde sur un prétendu concours Promovacances sordide sur l'Ukraine, une fausse vidéo du Figaro sur des boutiques Chanel prétendument ornées d'un symbole à l'effigie d'Hitler, à une fausse vidéo d'Al-Jazeera sur la supposée arrestation d'Ukrainiens pro-nazis pendant la Coupe du monde de football 2022 au Qatar, et à une fausse vidéo de 20 Minutes accusant soi-disant France 24 d'avoir créé une fausse enquête sur des graffitis anti-Zelensky.