Non, cet extrait tronqué de France 24 ne prouve pas que Zelensky a acheté des yachts avec l'aide occidentale


Non, cet extrait tronqué de France 24 ne prouve pas que Zelensky a acheté des yachts avec l'aide occidentale

Publié le lundi 26 février 2024 à 09:33

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Auteur(s)

Alexis ORSINI / AFP France

Depuis l'attaque de l'Ukraine par la Russie en février 2022, le président ukrainien Volodymyr Zelensky fait l'objet de nombreuses rumeurs, en particulier celles l'accusant - sans preuves - de profiter de l'aide financière occidentale pour s'enrichir. Deux ans plus tard, sur Facebook, des internautes l'accusent notamment d'avoir détourné de l'argent pour s'offrir "deux yachts", avec -à l'appui de leurs allégations- l'extrait d'une émission de France 24. Mais la séquence est tronquée : loin de confirmer ces accusations, l'émission d'origine venait au contraire expliquer qu'elles sont infondées. Comme l'AFP l'avait également montré, les prétendus documents d'achat des yachts étaient falsifiés.

"Voilà où passeraient les aides financières pour l’Ukraine…", "On doit donc donner une aide financière pour aider l’Ukraine" : sur Facebook (1, 2), fin février 2024, des internautes relaient une même vidéo, censée prouver que le soutien financier occidental reçu par l'Ukraine depuis le début de son invasion par la Russie en février 2022, serait détourné à des fins personnelles par le président Volodymyr Zelensky.

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Captures d'écran prises sur Facebook le 23 février 2024.

 

La séquence en question montre le journaliste Raphaël Kahane de France 24 - dont le logo est visible en bas à droite des images - affirmer :  "Zelensky devait donc prendre la parole devant le Congrès américain avant d'annuler au dernier moment. Il devait revenir sur des allégations concernant justement le président."

"C'est vous qui allez revenir sur ces allégations : le président ukrainien accusé d'avoir profité de l'aide financière occidentale à des fins personnelles", poursuit-il avant de laisser la parole à son confrère.

Ce dernier lui répond : "Oui, alors, ce n'est pas la première fois, on vous parlait il y a six mois de ces prétendues villas achetées par Volodymyr Zelensky avec l'argent des Occidentaux. Cette fois, [il est question] de l'argent détourné pour s'offrir deux yachts sous le nom de ses deux amis", tout en précisant, images à l'appui, que cette affirmation est relayée par un compte X "bien connu des Observateurs de France 24", comme par un "compte favorable à la Russie" ou encore par un "homme politique britannique".

"Et puis certains internautes de publier aussi, en guise de preuve, des documents comme celui-ci, des protocoles d'accord de vente. Vous en avez deux. L'un correspond donc à ce bateau, 'My Legacy', d'une longueur de 55 mètres,  par l'intermédiaire de Serguï Chefir, c'est le premier assistant de Volodymyr Zelensky, pour un montant de 46 millions d'euros. [...] Et puis le deuxième, cette fois c'est 'Lucky Me' son nom, 46 mètres de long, date de l'acquisition supposée : 18 octobre. pour un montant de 23 millions d'euros [...] et sous l'intermédiaire cette fois de Boris Shefir, le frère de Serguï Shefir", poursuit le journaliste en plateau. 

Mais si cette séquence a bien été diffusée sur France 24 à l'origine, elle est tronquée pour laisser penser que le média confirme ces accusations de corruption formulées contre Volodymyr Zelensky. L'extrait en question s'achève juste avant la vérification du journaliste, qui démontre ensuite au contraire que le président ukrainien n'a pas acheté de tels yachts, comme on peut le vérifier dans l'émission originelle, disponible sur YouTube (lien archivé).

Des documents falsifiés

Si le logo "Infox/Intox" est caché dans la vidéo que nous examinons, il est bien visible dans la séquence d'origine mise en ligne le 5 décembre 2023 et consultable ci-dessous. Il s'agit clairement d'une séquence de "fatct-checking", de vérification d'allégations infondées.

Surtout, l'extrait tronqué s'arrête juste avant le passage de l'émission dans lequel Antoine Saint-Léger explique, preuves à l'appui, pourquoi ces accusations contre Zelensky sont fausses. 

Après que sont confrère le relance en indiquant que ces documents sont "en réalité falsifiés" (à partir de 2:12), le journaliste poursuit: "Effectivement, quand on regarde de plus près ces documents, on voit que les transactions auraient été effectuées sous l'égide de cette association, the Mediterranean Yacht Brokers Association, [...] association qui assure que ces documents sont en fait une vieille version des contrats de vente. Et en l'occurrence, c'est une version qui est antérieure à 2012."

Le journaliste poursuit en expliquant que les "allégations" sur les yachts "tombent à l'eau, [...] d'autant que, que ce soit l'Office européen de lutte antifraude, le département d'Etat américain ou encore l'Agence américaine pour l'aide internationale, toutes trois qui supervisent et surveillent l'aide financière [à l'Ukraine] depuis février 2022, [...] n'ont relevé aucune dépense liée à des yachts". 

Ces allégations infondées sur l'achat de yachts par Volodymyr Zelensky ont également fait l'objet d'un article de vérification de l'AFP en janvier 2024.

Comme nous l'expliquions alors, le bureau du président ukrainien a réfuté auprès de la BBC en décembre 2023 (lien archivé) les assertions concernant l'achat de ces yachts, affirmant que Volodymyr Zelensky et les membres de sa famille "n'ont pas et n'ont jamais eu de yachts".

Quant à la  "Mediterranean Yacht Brokers Association", dont le nom apparaît sur les documents, et qui aurait approuvé la transaction, elle est basée en France, ainsi qu'on peut le voir dans une annonce (archivée ici) parue le 29 novembre 2008 dans le Journal officiel des associations et fondations d'entreprise (JOAFE), qui recense des informations officielles liées aux associations françaises.

Cette annonce indique néanmoins que l'association avait alors été rebaptisée "MYBA The Worldwide Yachting Association", et ne porte donc plus aujourd'hui le nom qui est indiqué sur les documents diffusés sur les réseaux sociaux. L'AFP a par ailleurs constaté, en consultant des archives de pages du site de l'association, que le logo figurant sur les prétendus documents de la vente du yacht ne semble pas avoir été utilisé par la MYBA depuis 2014. Désormais, lorsque l'on se rend sur son site, le graphisme du logo semble totalement différent (lien archivé).

Les documents contenus dans les publications sur les réseaux sociaux "ont manifestement été altérés", a déploré Jane Adlington-Brumer, secrétaire générale de MYBA, à l'AFP le 15 janvier, ajoutant que le "logo actuel de notre association date de 2021", celui présenté dans les documents n'étant aujourd'hui plus utilisé.

L'AFP a néanmoins pu remarquer que les faux documents ressemblent à un ancien modèle-type de contrat d'achat qui figurait sur le site de la MYBA. Mais Jane Adlington-Brumer a assuré que ce modèle n'était, en janvier 2024, "plus approuvé par MYBA". Les courtiers en yachts de luxe en charge des deux bateaux mentionnés dans les publications ont déclaré à l'AFP que "My Legacy" et "Lucky Me" n'avaient pas été vendus en janvier 2024, contrairement à ce qu'affirment les messages sur les réseaux sociaux.

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Volodymyr Zelensky à Riga, en Lettonie, le 11 janvier 2024.

AFP

 

Des accusations récurrentes (mais infondées)

Depuis l'invasion militaire russe en Ukraine en février 2022, et alors que la guerre en Ukraine entre dans sa troisième année, une vague de désinformation pro-Kremlin visant notamment à discréditer Volodymyr Zelensky a pris place sur les réseaux sociaux.  

Les allégations trompeuses visant à présenter le président ukrainien ou d'autres personnalités politiques ukrainiennes comme des personnes corrompues, utilisant l'argent envoyé par des pays occidentaux dans le cadre de la guerre avec la Russie, sont récurrentes. 

L'AFP en avait déjà vérifié plusieurs, comme ici au sujet de détournement présumé de l'aide américaine par le président ukrainien,  à propos d'une luxueuse villa du sud de la France prétendument achetée par le ministre de la Défense en 2023, ou encore  à propos de l'achat prétendu de l'ancienne villa de Joseph Goebbels par le président ukrainien. L'AFP avait en outre aussi vérifié à l'été 2023 une autre séquence de fact-checking, sur la chaîne LCI, tronquée pour laisser penser que Volodymyr Zelensky avait détourné 400 millions de dollars d'aide à l'Ukraine.

La désinformation pro-russe multiplie ces derniers mois les infox à destination des publics occidentaux, dans le but de saper le soutien occidental  à l'Ukraine -en particulier en laissant penser que l'aide est détournée-, une aide cruciale pour Kiev face à la Russie. Le président ukrainien se démène sans relâche pour maintenir cette aide occidentale.

Volodymyr Zelensky mis en cause dans les Pandora Papers

Volodymyr Zelensky, qui a fondé son image sur la lutte contre la corruption, avait été mis en cause dans les révélations des Pandora Papers, vaste enquête (lien archivé ici) du Consortium international des journalistes d'investigation publiée en 2021, et qui s'appuyait sur 11,9 millions de documents provenant de 14 sociétés de services financiers.

L'enquête l'accusait alors d'avoir mis en place à partir de 2012 un réseau d'entreprises offshore, qui aurait notamment servi à acheter trois propriétés cossues à Londres. Selon cette enquête, juste avant son élection à la présidence ukrainienne en 2019, Volodymyr Zelensky avait cédé ses parts dans l'une de ces sociétés offshore, Maltex Multicapital, à son associé de l'époque, Serguï Chefir, devenu ensuite son premier conseiller.

L'administration présidentielle ukrainienne avait argué à l'époque que Volodymyr Zelensky et ses associés tentaient de se "protéger" contre les "actions agressives" du régime de l'ex-président pro-russe Viktor Ianoukovitch.

Jointe par l'AFP le 10 janvier 2023, Maria Popova, professeure de science politique à l'Université McGill de Montréal et spécialiste des questions de corruption, avait indiqué que "beaucoup d'informations sont connues" sur le patrimoine des personnalités politiques ukrainiennes et que "le niveau de transparence à ce sujet est équivalent à celui en vigueur dans les pays occidentaux".

L'Ukraine, dont l'effort de guerre dépend du soutien occidental, a été secouée en janvier 2023 (lien archivé ici) par un important scandale de corruption présumée concernant des approvisionnements de l'armée. Plusieurs responsables politiques ont été limogés.

Fragilisée par le blocage de l'aide américaine, l'échec de sa contre-offensive estivale et un manque croissant de munitions, l'armée ukrainienne fait face actuellement à une situation "extrêmement difficile", de l'aveu même du président Volodymyr Zelensky qui a dû se résoudre il y a une semaine à céder la ville forteresse d'Avdiïvka sur le front Est.

Il a d'ailleurs exhorté le Congrès américain à approuver une aide militaire supplémentaire à son pays, dans une interview diffusée le 22 février 2024 sur Fox News, la chaîne préférée des conservateurs, qui bloquent actuellement une enveloppe de 60 milliards de dollars.

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