Non, cette photo ne montre pas Bernard-Henri Lévy avec des "jihadistes" au Mali
Non, cette photo ne montre pas Bernard-Henri Lévy avec des "jihadistes" au Mali
Publié le mardi 4 janvier 2022 à 13:22
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Marin Lefevre
Une vidéo cumulant près d'un million de vues depuis le 18 décembre affirme, photos à l'appui, que le philosophe français Bernard-Henri Lévy, surnommé "BHL", soutiendrait les "jihadistes" qui sévissent au Mali. L'écrivain est connu pour son intérêt pour les zones de guerre notamment en Bosnie, en Libye ou en Syrie. Ces photos montrant BHL aux côtés d'hommes armés circulent dans un climat de haute tension entre Paris et Bamako, notamment au sujet de la présence militaire française dans le pays. Attention cependant: ces images ont été prises au Soudan, en 2007, et n'ont rien à voir avec la situation au Mali.
"Bonjour chers internautes, vous n'allez pas croire l'information d'aujourd'hui", ânonne une voix aux accents robotiques, alors qu'un diaporama orné d'un badge "INFOS URGENT" défile en arrière-plan. On y aperçoit le philosophe français Bernard-Henri Lévy, entouré d'hommes noirs armés.
Selon l'auteur de cette vidéo de trois minutes, ces images sont la preuve que l'écrivain est un "espion français": il "fournit les armes aux jihadistes" au Mali, leur "donne la position de l'armée malienne" et transporte même "l'or de l'Afrique vers l'Europe", affirme-t-il.
Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 3 janvier 2022
Visionnée près d'un million de fois, cette vidéo a été partagée plus de 39.000 fois sur les réseaux sociaux au Mali depuis le 18 décembre 2021. Elle circule alors que les relations politiques entre la France et le Mali, gouverné par des putchistes depuis 2020, n'ont cessé de se dégrader, au risque de remettre en cause la légitimité déjà fragile de la présence française.
Les infox se sont en effet multipliées sur les réseaux sociaux maliens et plus largement ouest-africains depuis que la France a entrepris en juin 2021 de réorganiser son dispositif militaire, au terme de près de neuf ans de présence au Sahel. Ce plan prévoit une réduction des effectifs, de 5.000 actuellement, à 2.500/3.000 d'ici 2023.
Des photographies prises au Darfour en 2007
Pourtant, les deux photos montrant BHL aux côtés d'hommes armés n'ont rien à voir avec la situation actuelle au Mali.
Capture d'écran d'une vidéo Facebook, réalisée le 4 janvier 2022
Capture d'écran d'une vidéo Facebook, réalisée le 4 janvier 2022
La première, où Bernard-Henri Lévy est identifié par une flèche bleue et discute au milieu d'un groupe d'hommes armés, se retrouve sur le site de l'hebdomadaire français L'Obs. Elle est publiée au sein d'un diaporama mis en ligne en septembre 2015 et montre, selon la légende qui l'accompagne, "Bernard-Henri Lévy [qui] parle avec le commandant Tarrada de l'Armée de libération du Soudan (ALS) et ses soldats, au Darfour, région en guerre, en mars 2007".
Capture d'écran du site du magazine L'Obs, réalisée le 4 janvier 2022
La seconde, où le philosophe français apparaît en veste de costume accoudé sur un véhicule, aux côtés de plusieurs hommes eux aussi lourdement armés, a été publiée par le magazine Purple en 2009, qui consacrait cette année-là un portrait à BHL sous forme d'entretien. L'image est utilisée pour illustrer ce texte, aux côtés de la première mentionnée ci-dessus.
Capture d'écran du site du magazine Purple, réalisée le 4 janvier 2022
La légende de ce second cliché est plus concise et mentionne seulement qu'il a été pris lors d'un "reportage" au Darfour, en 2007. Mais le nom du photographe - Alexis Duclos - est mentionné.
Contacté par l'AFP le 3 janvier, celui-ci a confirmé en être l'auteur. "Ces photos sont extraites d'un reportage que j'ai effectué avec Bernard-Henri Lévy en mars 2007 au Darfour", une région de l'ouest du Soudan, a-t-il déclaré, précisant qu'ils étaient "rentrés clandestinement [dans ce pays] par le Tchad".
La seconde photo montre "l'écrivain français Bernard-Henri Lévy [s'entretenant] avec le chef de l'ALS (Armée de libération du Soudan), Rocco, dans la région de Beirmazza", au Soudan, a précisé Alexis Duclos à l'AFP.
"Ce reportage avait pour but de dénoncer et de montrer le massacre des tribus musulmanes de cette région et dans le pays voisin du Tchad par les milices Janjaweed", des miliciens arabes montés à cheval et envoyés par le pouvoir d'Omar El-Béchir, ex-président du pays, contre les différents groupes ethniques du Darfour, selon le photographe.
Cette vaste région est régulièrement secouée par des heurts, notamment provoqués par des disputes territoriales ou les difficultés d'accès à l'eau et a connu une longue guerre qui a fait depuis 2003 au moins 300.000 morts et 2,5 millions de déplacés selon l'ONU.
De son passage dans cette région, le philosophe français a notamment tiré un article pour Le Monde Afrique, intitulé "Choses vues au Darfour" et publié en mars 2007, dans lequel Alexis Duclos est cité.
Né en 1948, BHL est un habitué des terrains de guerre (Bosnie, territoires palestiniens, Syrie, Libye...) et a fait de la défense des droits de l'Homme sa marque de fabrique. Philosophe, romancier, journaliste, dramaturge, éditeur, cinéaste, il a publié plusieurs livres et réalisé plusieurs films sur ces conflits. Très apprécié mais également très critiqué, ses détracteurs lui reprochent entre autres de se montrer plus sensible à la misère lointaine qu'à celle du coin de sa rue.
Cette information a également été vérifiée par Les Observateurs de France 24 et le site d'actualités malien Le Jalon.
Vidéos "low cost"
Cette vidéo virale qui prétend que Bernard-Henri Lévy est un espion à la solde de la France dont la mission serait de défendre les intérêts français au Mali est un énième exemple d'un type de vidéos qui imitent l'information pour désinformer.
La recette de ces contenus est simple et déclinable à tous types de sujets: une voix off robotique à la syntaxe hasardeuse, un habillage imitant les chaînes d'info, le tout apposé à un diaporama d'images qui n'ont parfois rien à voir avec "l'information" que les auteurs de la vidéo prétendent révéler.
Ici, la voix off débite un texte qui vise à interpeller le spectateur ("Regardez ce Français. Vous l'avez bien vu?") et induire un doute quant aux raisons qui motivent Bernard-Henri Lévy à se rendre sur plusieurs terrains de conflit, notamment en Libye.
La suite du monologue évoque pêle-mêle des informations factuelles - sa biographie, les thèmes de ses travaux, la composition de sa famille - et des rumeurs invérifiables - BHL se serait marié pour accomplir des missions d'espionnage, aurait "permis la mort de Kadhafi" ou l'arrestation "du président ivoirien Laurent Gbagbo". Il transporterait même "des ressources minières par hélicoptère sous l'ordre des présidents français de chaque génération", et donc plus récemment d'Emmanuel Macron.
Cette surabondance d'informations, mêlée aux images qui défilent, permet de "détourner votre attention", estimait début décembre 2021 pour l'AFP Shyam Sundar, de l'Université d'Etat de Pennsylvanie , qui voit dans ce format une "combinaison mortelle" en terme d'efficacité.
"Comme votre cerveau essaye d'intégrer toutes ces stimulations, vous n'allez pas vous concentrer sur l'audio spécifiquement et serez moins à même de repérer la désinformation (...), vous êtes mentalement submergé", poursuit-t-il. Et donc plus difficilement capables de repérer les rumeurs ou les fausses informations.
Faciles à fabriquer en masse car peu coûteuses, disséminées très largement via les réseaux sociaux, ces vidéos servent souvent à des fins propagandistes. Au Mali par exemple, ce genre de vidéos est abondamment publié sur des groupes opposés à la présence française dans le pays.
Tensions encore vives entre la France et le Mali
Cette fausse information est l'une des dernières incarnations de la défiance d'une partie de la population malienne envers la présence militaire française sur son sol. En pleine réorganisation militaire de l'opération française antijihadiste Barkhane, l'engagement français au Sahel fait face à une hostilité de plus en plus visible, illustrée fin novembre au Burkina Faso puis au Niger par la mobilisation de populations locales contre le passage d'un convoi militaire en route pour le Mali.
Lors de cet épisode, "manifestement il y a eu des actions de désinformation sur les réseaux sociaux", avait déclaré début décembre sur RFI et France24 la ministre des Armées Florence Parly.
Derrière les rafales d'infox sur les réseaux sociaux, les observateurs voient la main russe, à l'heure où le Mali envisage de recourir aux services des paramilitaires de la société Wagner. Selon des experts de l'ONU, des membres de ce groupe russe auraient commis des violations systématiques et graves des droits humains.
Une quinzaine de puissances occidentales impliquées dans la lutte antijihadiste et la formation des soldats dans ce pays avaient dénoncé fin décembre le déploiement de ces mercenaires, démenti formellement le lendemain par le gouvernement malien.
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