Un homme titubant dans la rue, comme ivre, une jeune femme yeux clos, la tête renversée en arrière et la bouche grande ouverte, dans le métro: la vidéo, ultra-virale sur TikTok, avec près de 8 millions de vues au 4 juillet, est très anxiogène. Ses auteurs l’affirment: "la drogue du zombie est désormais officiellement considérée comme une menace émergente en France". 

Une voix robotique ajoute même que "plusieurs personnes sous influence" de cette drogue ont été repérées notamment à "Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux ou Lille".  

Cette vidéo a été relayée sur d’autres réseaux sociaux comme Twitter, avec notamment cette internaute qui commente le 18 juin : "La drogue du zombie continue d'envahir la France. Le premier cas a été recensé à Toulouse... Elle est officiellement considérée comme une menace émergente", son tweet étant repartagé plus de 400 fois. 

Le lendemain, le 19 juin, un autre utilisateur de Twitter met en garde:  "La drogue du Zombie est arrivé [sic] en France. Faite [sic] attention à vos enfants, c'est un sujet import a leurs [sic] faire comprendre, une seule fois suffit à gâcher leur futur..."

Dans l’émission Touche pas à mon poste également, Cyril Hanouna affirme le 25 juin: "et forcément ça va arriver en France (…) je vous dis ça commence déjà à arriver en France". Sur Facebook, la vidéo de l’émission de C8 est relayée des centaines de fois.   

Que montre la vidéo très virale de TikTok? 

Première mise en garde: dans la vidéo partagée sur TikTok, rien ne prouve que ces images montrent des personnes s’étant injecté la fameuse "drogue du zombie". 

Surtout, de nombreux indices montrent qu'elles n'ont pas été tournées en France mais aux Etats-Unis:  inscriptions, enseignes, plaques de rue, plaque d'immatriculation, ou plan du métro, encadrées de rouge ci-dessous.

L'inscription sur le mur en pierre visible dans la vidéo (dernière capture ci-dessus) rend hommage aux habitants de Kensington avenue, à Philadelphie. Elle a été souvent photographiée,  comme ci-dessous sur le site du journal américain Philadephia Inquirer (archive)

Une autre vidéo mise en ligne sur TikTok en mars, utilise les mêmes images pour illustrer la présence de cette drogue aux Etats-Unis. 

Qu’est ce que la "drogue du zombie"? 

Ce surnom désigne un cocktail de médicaments appelé "tranq", pour "tranquillisant" aux Etats-Unis. La "tranq", c’est un mélange de fentanyl (archive), un puissant opiacé de synthèse, couplé à de la xylazine (archive), un anesthésiant à usage vétérinaire interdit pour les humains. 

Cette drogue provoque d’énormes blessures dans la peau de ceux qui se l’injectent, et des overdoses mortelles. Aux Etats-Unis, et notamment dans certaines villes comme Philadelphie, elle inquiète énormément les autorités, et le président Joe Biden l’a récemment qualifiée de "menace émergente".

Comme le raconte ce reportage (archive) de l’AFP publié en juin, la xylazine, accessible facilement sur internet, a pénétré le marché américain des drogues illégales, dominé par les produits de synthèse.  

Selon des données des Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC), l'estimation du nombre d'overdoses mortelles dans lesquelles la xylazine est impliquée est passée de 260 en 2018 à 3.480 en 2021 aux Etats-Unis. Si Philadelphie fait figure d'épicentre de la "tranq", New York n'est pas épargnée: 19% des overdoses aux opiacés, soit 419 décès, impliquaient aussi de la xylazine en 2021, selon la ville. 

Interrogé par l’AFP le 30 juin, le Dr William Lowenstein (archive), addictologue, explique que "ce qui pose problème, c’est l’usage combiné des deux : le fentanyl, bien évidemment à lui tout seul provoque des overdoses, il est dit 50 fois plus puissant que l’héroïne et donc 100 fois plus que la morphine. La xylazine toute seule est plutôt sur le côté anesthésiant".

Le cocktail des deux produit chez le consommateur une perte de contrôle, une dépendance extrêmement forte, un "craving" (envie irrépressible de consommer une substance) "aussi fort quasiment que celui du crack", selon lui. 

Le spécialiste décrit un côté "spectaculaire" avec des "bras de Popeye" et jusqu’à "des nécroses sous-cutanées impressionnantes, ou des obstructions vasculaires". 

Un autre spécialiste interrogé par l’AFP le 30 juin, le professeur Jean-Claude Alvarez (archive),  
chef de service du laboratoire de pharmacologie-toxicologie du CHU de Garches, explique: "quand vous l'injectez, vous êtes complètement sur une autre planète, donc vous irez dans les villes sans trop savoir où vous êtes. C'est pour ça que ça s'appelle la drogue du zombie". 

La "drogue du zombie" est-t-elle présente en France? 

Non, pas pour le moment, assure à l’AFP le 30 juin l’ Observatoire français des drogues et des tendances addictives, qui explique que la xylazine, "agent adultérant bien connu de l’héroïne”, une pratique frauduleuse consistant en l'ajout d'un produit de moindre valeur à un autre produit, "n’est pas observé sur le territoire national à travers le Système d’identification national des toxiques et des substances (SINTES) piloté par l’OFDT. Sa consommation reste confinée aux Etats-Unis à ce jour”. 

Cette molécule autorisée seulement pour un usage vétérinaire n’a été identifiée par l’OFDT qu’à deux reprises dans la région lyonnaise, comme mentionné dans ce rapport (archive) de  2022, page 68. 

Le professeur Alvarez qui fait "des recherches des causes de décès dans tout l’Ouest de Paris", n’en a jamais vu non plus "ni dans des poudres, ni dans du sang, ni dans des urines".

Peut-elle arriver en France? 

Le professeur Alvarez concède que se procurer de la xylazine serait "hyper facile par internet": "Les nouvelles drogues de synthèse s'achètent sur internet. Il n'y a plus besoin d'aller voir le dealer". 

Mais pour autant, insiste-t-il, "on n'a pas forcément les mêmes drogues que peuvent avoir les Américains ou les Australiens, par exemple". 

Dans la crise de la "tranq", la xylazine est la plupart du temps associée au fentanyl, "un opiacé à courte durée d'action que les gens doivent utiliser plus souvent" pour éviter le manque, explique à l'AFP Courtney McKnight, professeure adjoint d'épidémiologie clinique à l'Ecole de santé publique mondiale de l'université de New York. 

"L'hypothèse est que la xylazine a été ajoutée pour prolonger la durée de vie du fentanyl", ajoute-t-elle.

La crise des opiacés aux États-Unis a provoqué près de 500.000 décès entre 1999 et 2019 (CDC, 2021, archive). "Son origine vient directement de la décision en 1996 des autorités sanitaires fédérales de permettre l’élargissement de la prescription d’antalgiques très puissants, tels l’Oxycontin (oxycodone), auparavant réservés à des personnes atteintes de cancers, à des patients souffrant de douleurs chroniques non cancéreuses, et d’une campagne commerciale agressive de la part de l’industrie pharmaceutique", rappelle l’OFDT dans un rapport (archive) sur la question publié en 2021.

Des patients sont devenus dépendants à ces substances et ont commencé à se procurer ces médicaments dans un cadre illégal, et de plus en plus ces dernières années du fentanyl, un opiacé de synthèse porté par des laboratoires clandestins mexicains. 

Mais en France, la prescription de fentanyl est réservée à la prise en charge de douleurs chroniques, notamment d’origine cancéreuse, ce qui fait qu’il circule beaucoup moins qu’aux Etats-Unis: "en France, on a une législation qui est plus compliquée pour tout ce qui est stupéfiant, ça ne se prescrit pas comme ça", abonde le Pr Alvarez. 

"Les observations menées dans le cadre du dispositif Tendances récentes et nouvelles drogues (TREND) de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) indiquent qu’il n’existe pas de marché de rue établi et stable de fentanyl pharmaceutique", écrit l’OFDT, ajoutant que "les rares apparitions du fentanyl pharmaceutique concernent la forme transdermique (patch) et que sa disponibilité est ponctuelle et restreinte". 

Quant au fentanyl illicite, "contrairement aux États-Unis où il circule principalement sous la forme de comprimés", en France, assure l’OFDT, "il  n’a été observé que sous la forme poudre".  

En conclusion, "en 2021, l’ensemble des informations disponibles en France à propos du fentanyl et de ses dérivés font état d’une diffusion marginale dans la population, qui contraste avec celle observée outre-Atlantique".