Le vrai du faux. Droit de manifester, nasse et fusil d'assaut : trois questions sur les rassemblements contre la réforme des retraites


Le vrai du faux. Droit de manifester, nasse et fusil d'assaut : trois questions sur les rassemblements contre la réforme des retraites

Publié le mercredi 22 mars 2023 à 10:37

Capture.jpeg

Des opposants à la réforme des retraites face à la police, le 19 mars 2023 à Paris, lors d'une manifestation non déclarée.

(MARTIN NODA / HANS LUCAS / AFP)

Auteur(s)

Armêl Balogog - franceinfo

 

Plusieurs affirmations contradictoires circulent sur les réseaux sociaux concernant le droit de manifester contre la réforme des retraites et l'utilisation du 49.3 et sur les méthodes de maintien de l'ordre. La cellule du "Vrai du faux" fait le point.

Des manifestations spontanées ont lieu tous les jours en France depuis l'utilisation du 49.3 par la Première ministre Elisabeth Borne pour faire adopter la réforme des retraites jeudi 16 mars. Les images de manifestants, de nasses, d'interpellations circulent sur les réseaux sociaux et suscitent de nombreuses questions. franceinfo fait le point sur le droit de manifester spontanément, sur la technique de la "nasse" utilisée par les forces de l'ordre et sur la présence de CRS équipés de fusil d'assaut HK G36 en marge des cortèges.

>> Réforme des retraites : suivez les dernières informations en direct

A-t-on le droit de participer à une manifestation spontanée ?

Oui. En France, le droit de manifester est garanti par la Déclaration des droits de l'Homme et a valeur de constitutionnalité. On a le droit de manifester dans deux cas de figures : si la manifestation n'a pas été déclarée à la préfecture ni à la mairie, ce qu'on appelle couramment une manifestation sauvage ou spontanée – la Cour de cassation a entériné ce droit en juillet 2021 – et si la manifestation a été déclarée et qu'elle n'a pas été interdite. Il faut savoir qu'une manifestation n'a pas besoin d'être autorisée. Un droit à manifester que de nombreux internautes ont voulu rappeler sur les réseaux sociaux.

En revanche, depuis 2019 et le mouvement des "gilets jaunes", participer à une manifestation qui a été interdite n'est pas autorisé et est puni par une contravention de quatrième classe de 750 euros maximum.

La loi fait une différence claire entre les participants et les organisateurs de manifestations. Ces derniers sont obligés de déclarer leur manifestation aux autorités. S'ils ne le font pas, ils risquent d'être condamnés à six mois de prison et 7 500 euros d'amende. Ils risquent d'être condamnés aussi s'ils déclarent une manifestation, qu'elle est interdite, mais qu'ils l'organisent quand même malgré l'interdiction. En résumé, on a le droit de participer à une manifestation spontanée mais pas de l'organiser.

Néanmoins, dans tous les cas, que la manifestation soit spontanée, déclarée ou interdite, les participants risquent d'être confrontés aux forces de l'ordre parce qu'elles peuvent estimer qu'il s'agit, non plus d'un rassemblement pacifique, mais d'un attroupement. Le Code pénal stipule que "constitue un attroupement tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public" (article 431-3). Une définition large dénoncée par l'Observatoire des libertés et des pratiques policières dans un billet de blog sur Mediapart"Mais quand peut-on considérer qu'une manifestation est devenue un attroupement ?", s'interroge-t-il. La participation à un attroupement fait partie des motifs réguliers de placement en garde à vue des manifestants interpellés ces derniers jours, notamment à Paris, dont la majorité sont relachés sans aucune poursuite.

Les forces de l'ordre ont-elles le droit de "nasser" les manifestants ?

Oui et non. La "nasse" est une technique de maintien de l'ordre qui consiste à encercler des manifestants pour pouvoir les contrôles et les interpeller. En 2021, le Conseil d'Etat a supprimé cette technique du schéma de maintien de l'ordre du ministère de l'Intérieur estimant que les conditions dans lesquelles cette technique pouvait être utilisée n'étaient pas assez précises. C'est en vertu de cette décision que de nombreuses personnes estiment que l'encerclement est interdit, comme la décoratrice Valérie Damidot ou le compte "Vilain syndicaliste".

Néanmoins, quelques mois après l'avis du Conseil d'Etat, en décembre 2021, le ministère a publié un nouveau schéma national de maintien de l'ordre qui a réintroduit la technique de la "nasse" en ajoutant des conditions d'utilisation : "Il peut être recouru à l'encerclement d'un groupe de manifestants pour prévenir ou faire cesser des violences graves et imminentes contre les personnes et les biens. Cet encerclement doit, dès que les circonstances de l'ordre public le permettent, systématiquement ménager un point de sortie contrôlé pour ces personnes. L'encerclement ne peut être mis en œuvre que pendant une durée strictement nécessaire et proportionnée" (p. 25).

Mais cela reste trop flou, pour l'Observatoire parisien des libertés publiques, la Ligue des droits de l'Homme et le Syndicat des avocats de France. Quelques jours après la publication de ce schéma, ils signaient un communiqué pour dénoncer une "normalisation de l'usage abusif des nasses""Le SNMO autorise ainsi à encercler une manifestation pour prévenir des atteintes aux biens. Ce critère est suffisamment large et imprécis pour permettre l'encerclement préventif de toute manifestation", déploraient-ils. Ce nouveau schéma de maintien de l'ordre n'a pas été retoqué depuis, les forces de l'ordre peuvent donc "nasser". Les manifestants interpellés et poursuivis devront par la suite essayer de prouver que les conditions de la nasse n'étaient pas réunies.

Un CRS était-il armé d'un fusil d'assaut HK G36 lors d'une manifestation à Nantes ?

La photo d'un CRS muni d'un fusil d'assaut HK GR36 circule sur les réseaux sociaux. Elle a été publiée au départ par le compte militant "Contre-Attaque", anciennement "Nantes Révoltée", qui écrit sur Twitter : "Le HK G36 est un fusil d'assaut de la firme Heckler et Koch, calibre 5,56 mm. La police française en a été dotée au nom de l'antiterrorisme. Il tire jusqu'à 750 coups par minute. Ici, brandi par un CRS dépassé, au cœur de Nantes, entre les manifestants et les badauds."

La photo en plan resserré ne permet pas d'être authentifiée via une simple recherche inversée sur Internet. Nous avons contacté plusieurs sources policières et elles démentent la version des militants. D'une part, elles confirment que la photo est vraie : ce CRS était bien muni d'un HK G36 samedi dernier à Nantes. Mais d'autre part, elles affirment que l'interprétation qui en est faite par le compte militant est mauvaise. Ce CRS n'était pas là pour maintenir l'ordre pendant la manifestation, mais pour sécuriser les CRS, et notamment leurs véhicules, en cas d'attaque terroriste. Il est resté loin des manifestants et n'est jamais intervenu.

"L'effectif pris en photo est l'armurier de la compagnie qui se trouve au plus près du commandant d'unité. Ce groupe se trouve à l'arrière du dispositif CRS et ne participe aucunement aux opérations de maintien de l'ordre", explique le Service d'information et de communication de la police nationale (Sicop) à franceinfo. La position de son doigt montre qu'il est en position de sûreté, ce qui évite les tirs accidentels.

Le Sicop assure que des CRS munis de HK G36 sont régulièrement déployés en marge des manifestations depuis les attentats de 2015 et l'élargissement du dispositif vigipirate, comme l'expliquait le ministre de l'Intérieur à un député en 2017"Il intervient dans le cadre des instructions permanentes du ministère de l'Intérieur au sujet de la menace terroriste protéiforme. En l'occurrence, on ne peut exclure qu'à l'occasion d'un rassemblement important de citoyens une action terroriste soit entreprise à l'encontre des forces de l'ordre ou des manifestants. C'est dans ce cadre-là que le commandement d'unité peut dès lors avoir recours à cet armement afin de protéger les citoyens et de faire cesser la menace", détaille le Sicop.

Le déploiement de CRS habilités à porter des HK G36 avait déjà été signalé lors d'une manifestation des "gilets jaunes" en janvier 2019, en vertu de la lutte contre le terrorisme. Mais, selon une note du patron des CRS que Mediapart avait pu consulter, cet équipement tenait compte des "violences constatées à l'encontre des forces de l'ordre" lors des précédentes journées d'action du mouvement. Quatre ans plus tard, une source policière assure à franceinfo que les choses sont différentes aujourd'hui, qu'il s'agit bien uniquement du dispositif vigipirate.