Le vrai du faux. Lyon-Turin : l'actuel tunnel du Mont-Cenis est-il aussi sous-exploité que ce qu'affirme Jean-Luc Mélenchon ?


Le vrai du faux. Lyon-Turin : l'actuel tunnel du Mont-Cenis est-il aussi sous-exploité que ce qu'affirme Jean-Luc Mélenchon ?

Publié le jeudi 22 juin 2023 à 12:43

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Des opposants au projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin brandissent une banderole à Saint-Michel-de-Maurienne (Savoie)

(JEAN-PIERRE CLATOT / AFP)

Auteur(s)

Armêl Balogog - franceinfo

 

Le fondateur de la France insoumise a affirmé que le fret ferroviaire sous le tunnel historique du Mont-Cenis a été divisé par sept et trouve cela "absurde". Vrai ou faux ?

Le calme est revenu ce lundi matin dans la vallée de la Maurienne, après une manifestation marquée de tensions pendant le week-end. Une dizaine de mouvements, dont les Soulèvements de la Terre, avaient appelé à se mobiliser contre le creusement d'un nouveau tunnel dans les Alpes pour la future ligne ferroviaire Lyon-Turin accusé d'avoir un impact sur l'environnement.

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Comme plusieurs personnalités politiques de gauche, Jean-Luc Mélenchon a dit son opposition à ce nouveau tunnel. "Il y a déjà une voie ferrée qui relie Lyon à Turin et elle vient d'être modernisée, a rappelé le fondateur de la France insoumise dimanche 18 juin sur BFM TV . Or, figurez-vous que cette voie qui existe, maintenant on y met sept fois moins de train qu'avant. C'est absurde." Ce chiffre est-il correct ?

Trafic divisé par trois sous le tunnel de Mont-Cenis

C'est faux, Jean-Luc Mélenchon gonfle les chiffres. En la matière, les données de l'Office fédéral suisse de la statistique sur le transport de marchandise transalpin, prélevées depuis les années 1980, font référence. Elles ne sont pas en nombre de trains, mais en millions de tonnes de marchandise. Selon le tableau de cet office recensant le trafic de marchandises à travers les Alpes selon les voies de passage, le fret ferroviaire a en effet bien diminué sous le tunnel du Mont-Cenis ces quarante dernières années, mais il a été divisé par trois et non par sept. 

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En 1984, première année des relevés, 8,1 millions de tonnes de marchandises avaient transité sur les rails via le tunnel du Mont-Cenis, contre 2,7 millions de tonnes en 2021, soit exactement trois fois moins. Dans le même temps, la part du ferroviaire dans le transport de marchandise entre la France et l'Italie en général – par ce tunnel, mais aussi par celui de Vintimille – a aussi été divisée par trois, passant de 19,9% en 1999 à 7,4% en 2020, selon le rapport annuel Observation et analyse des flux de transports de marchandises transalpins de la Commission européenne et de l'Office fédéral suisse des transports de l'année 2020.

En parallèle, le volume de marchandises transportées de la France à l'Italie, rail et route cumulés, a plutôt stagné, passant d'environ 50 millions de tonnes en 1999 à 45 millions de tonnes en 2021, selon ce rapport et le dossier Transport de marchandises à travers les Alpes de l'Agence alpine des territoires et du département de la Savoie. Mathématiquement, à l'inverse, la part du transport par des poids lourds a donc augmenté.

De fortes "contraintes de sécurité" italiennes

Contacté par franceinfo, le ministère des Transports explique que "le nombre de trains est limité du fait de contraintes de circulations imposées dans le tunnel historique. En effet, du fait de normes de sécurité moins strictes que pour les tunnels récents lors de sa construction, le plan d’intervention et de sécurité du tunnel impose de fortes contraintes d’exploitation afin de limiter les risques d’accidents. Ainsi, si le tunnel historique permettait effectivement de faire circuler environ 10 millions de tonnes dans les années 1980, les contraintes de sécurités en place aujourd’hui empêchent de pouvoir atteindre de tels niveaux".

Une note de SNCF Réseau datant de 2018 souligne les problèmes de sécurité que pose ce tunnel construit entre les années 1850 et 1870, de 13 km de long dans la montagne, sans aucune évacuation vers l'extérieur, et dans lequel les règles de sécurité italiennes, plus restrictives que les Françaises, s'appliquent puisque le tunnel est géré par la Rete ferroviaria italiana (RFI), l'équivalent italien de SNCF Réseau. 

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Ces normes italiennes "interdisent, en conception des sillons, le croisement et la poursuite de trains de voyageurs par des trains transportant des marchandises dangereuses, ainsi que des trains de marchandises dangereuses entre eux. (…) Bien que des travaux permettant d'améliorer la sécurité de ce tunnel aient été engagés, il ne peut atteindre les standards des tunnels actuels, imposés par les nouvelles règles en la matière (présence d'un refuse accessible par l'extérieur, ou d'un tube séparé pouvant servir de refuge, dimensions des trottoirs pour l'évacuation des personnes)".

Cela limite considérablement les possibilités d'exploiter davantage le tunnel. "RFI indique ainsi qu'en intégrant la contrainte de non-croisement des trains, la capacité du tunnel est de 62 trains par jours au total (fret, voyageurs et circulation techniques). Le fait que deux trains de nature différente (fret et voyageur) ne puissent pas circuler en même temps réduit de huit circulations ce total", continue la note. Autrement dit, la capacité théorique du tunnel du Mont-Cenis est de 54 trains par jour, soit un peu plus que la quarante qui y circule actuellement.

Néanmoins, selon le ministère des Transports, il serait impossible d'augmenter la circulation sous l'actuel tunnel du Mont-Cenis au lieu de creuser un nouveau tunnel. "Le nouveau tunnel Lyon-Turin a pour vocation de reporter jusqu’à un million de ces poids lourds sur le rail, a-t-il expliqué à franceinfo. Si l’on souhaitait faire basculer un million de poids lourds vers le tunnel historique, cela représenterait 15 millions de tonnes à faire transiter par le tunnel, quantité plus importante encore que dans les années 1980 et que le tunnel n’est donc pas en capacité de pouvoir supporter."