Emmanuel Macron : “Il faudrait qu’à la première infraction, on arrive à sanctionner financièrement et facilement les familles”


Emmanuel Macron : “Il faudrait qu’à la première infraction, on arrive à sanctionner financièrement et facilement les familles”

Publié le jeudi 13 juillet 2023 à 10:07

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Emmanuel Macron

(World Economic Forum / Sikarin Thanachaiary)

Auteur(s)

Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay 

Sanctionner automatiquement la famille d’un délinquant en la privant d’allocations familiales ou d’autres allocations suppose de revoir profondément la législation relative à ces aides, tout en veillant – ce sera le plus difficile – à ne pas enfreindre plusieurs principes constitutionnels comme l'individualisation des peines et la responsabilité du seul fait personnel, qui interdit les punitions collectives.

“Il faudrait qu’à la première infraction, on arrive à sanctionner financièrement et facilement les familles”, a affirmé Emmanuel Macron, après avoir appelé les parents à la “responsabilité” face aux violences urbaines et au constat qu’elles étaient le fait de beaucoup de jeunes, voire de mineurs. 

Le dispositif tel qu’exprimé par le Président de la République consisterait à sanctionner financièrement la famille d’un enfant qui commet un délit. Cela supposerait d’abord d’appréhender l’enfant et éventuellement de le juger s’il répond à certains critères (âge, discernement). Une fois qu’il a été condamné par le tribunal correctionnel, il faudrait que les caisses d’allocations familiales ou tout autre organisme d’aide sociale soient avertis du jugement (ce qui déjà pose un problème d’atteinte à la vie privée), afin que soient stoppées ou diminuées certaines allocations aux parents. En somme, la peine infligée à l’enfant va rejaillir sur la famille. 

Une sanction collective et automatique contraire à la Constitution

Or, les Surligneurs l’avaient démontré à propos d’une promesse électorale d’Eric Zemmour : supprimer les allocations en raison des actes délictueux d’un des enfants, cela revient à punir toute la famille. 

En droit pénal, une peine a uniquement pour vocation de sanctionner un comportement jugé répréhensible par la loi. Elle vise la personne reconnue coupable pour ses actes, et n’a pas pour but de punir aussi les proches. Punir des familles entières au seul motif qu’un des enfants a été condamné pénalement revient à punir des personnes pour des faits qu’elles n’ont pas commis, et donc à condamner des innocents. C’est contraire à l’un des principes fondamentaux du droit pénal, à savoir la responsabilité du seul fait personnel. Issu des articles 8 et 9, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ce principe se résume simplement : “nul n’est punissable que de son propre fait”. Parce que les sanctions pénales visent un comportement personnel réprimé par la loi, elles ne peuvent être prononcées qu’à l’encontre de celui qui s’est rendu coupable de ce comportement.

Emmanuel Macron semble aussi vouloir appliquer automatiquement cette sanction, chaque fois qu’un enfant est reconnu coupable. Or c’est contraire à un autre principe, celui de l’individualisation des peines (article 8, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) : chaque punition doit pouvoir être adaptée par le juge au cas par cas, en fonction de l’affaire jugée.

Contraire à la logique actuelle des allocations

Les allocations familiales, comme bien d’autres aides sociales, sont fondées sur un principe de solidarité nationale, et n’ont pas vocation, en l’état actuel du droit, à être conditionnées au bon comportement des enfants. Elles reposent sur des critères légaux tels que la résidence en France et la garde effective de l’enfant : elles bénéficient à celui des parents qui en assume la charge effective et permanente, indépendamment du reste. Cela signifie à l’inverse que la condamnation d’un enfant à de l’emprisonnement ferme sans aucun aménagement, pourrait seulement justifier, à la limite, une diminution des allocations familiales le temps de l’exécution de la peine, puisque cet enfant ne serait plus sous la garde effective de ses parents. 

Ce durcissement des règles ne viserait que les comportements futurs, pas les saccages passés

Enfin, et en tout état de cause, cette réforme ne pourrait s’appliquer aux infractions commises avant qu’elle n’entre en vigueur. En matière de sanctions, pénales ou administratives, le principe constitutionnel de non-rétroactivité veut qu’un comportement ne peut être sanctionné qu’au vu du droit existant au moment où il se produit. 

La demande d’Emmanuel Macron supposerait de revoir fondamentalement l’esprit et la finalité des allocations familiales notamment, pour pouvoir les lier au comportement des enfants. Le tout, sans enfreindre les principes constitutionnels cités plus haut. Pas simple.

Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article

  • URL de la déclaration : https://www.tf1info.fr/politique/viol...
  • Texte de la déclaration :

    Droite et extrême droite rivalisent de propositions pour sanctionner les participants aux violences urbaines et leurs familles.Parmi les solutions mises sur la table : déchéance de nationalité, abaissement de la majorité pénale à 16 ans ou suppression des allocations familiales.Mais, ces mesures sont-elles réellement applicables ?
    "Il faudrait qu'à la première infraction, on arrive à sanctionner financièrement et facilement les familles", a affirmé Emmanuel Macron lundi soir, après avoir appelé les parents à la "responsabilité" face aux violences urbaines et au constat qu'elles étaient le fait de beaucoup de jeunes, voire de mineurs.
    Si l'exécutif semble vouloir durcir son arsenal législatif pour punir les participants aux violences et leurs parents, il n'a pas encore expliqué comment. Mais, à droite et à l'extrême droite de l'échiquier politique, plusieurs solutions ont été formulées.
    S'attaquer aux allocations familiales
    Une vieille proposition est revenue sur le devant de la scène : supprimer les allocations familiales. Le président des Républicains Eric Ciotti a annoncé mardi le dépôt d'une proposition de loi reprenant sa propre loi votée en 2010 - et abrogée en 2013 par François Hollande - pour restreindre ou supprimer les allocations familiales aux parents d'élèves absentéistes. Cette fois-ci, le député des Alpes-Maritimes souhaite étendre son cadre.
    Le texte prévoit que lorsque des condamnations et décisions de justice imposent des "obligations ou des interdictions à un enfant mineur", celles-ci doivent être "signifiées aux titulaires de l’autorité parentale". Un "contrat (...) entre la justice et les parents" obligerait ces derniers à s'assurer que le mineur respecte ces décisions, sous peine de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende. En cas "de refus manifeste" de respecter ce contrat, le juge pourrait demander une suspension de la part des allocations correspondant au mineur.
    Cette proposition est également reprise par le Rassemblement National, qui veut la déclencher en cas de récidive. Dimanche, le président du parti Jordan Bardella a appelé à "supprimer les allocations familiales aux parents de mineurs multirécidivistes lorsque des carences éducatives sont avérées".
    Est-ce possible ? Rebondissant sur une proposition similaire formulée par Eric Zemmour en 2020, le collectif spécialisé en legal-checking Les Surligneurs juge que non. Rappelant que "nul n’est punissable que de son propre fait", il estime qu'il est impossible de punir des personnes pour des faits qu’elles n’ont pas commis. "Il s’agirait de punir des personnes pour des faits qu’elles n’ont pas commis, donc de condamner des innocents ce qui est contraire à l’un des principes fondamentaux du droit pénal qu’est la responsabilité du seul fait personnel", lit-on dans l'article dédié.
    Aussi, le bilan chiffré de la loi Ciotti sur les élèves absentéistes est mitigé : si 79.000 signalements ont été transmis, seulement 619 familles ont été sanctionnées, et 142 ont pu obtenir à nouveau leurs allocations après un changement de comportement de l’enfant.
    Abaisser la majorité pénale
    Une autre mesure revient souvent : abaisser la majorité pénale de 18 à 16 ans. Ce mercredi sur RTL, la présidente de la région Ile-de-France Valérie Pécresse a reformulé cette proposition qui se trouvait déjà dans son projet présidentiel en 2022. Les représentants des Républicains la réclament également, tout comme le Rassemblement national.
    Mais, mettre en place une telle mesure, est-ce possible ? "Cette proposition serait compliquée à mettre en œuvre au vu de la jurisprudence constitutionnelle et du droit international, d’autant que la justice pénale permet d’ores et déjà de condamner les mineurs, au même titre que les adultes", lit-on sur le site des Surligneurs. L'autrice de l'article explique que la France a ratifié la Convention internationale de 1989 relative aux droits de l’enfant qui entend le mot enfant comme "tout être humain âgé de moins de 18 ans" et oblige à bénéficier de juridictions pénales spécialisées pour les mineurs. Aussi, pour "supprimer la spécialisation des juridictions pour les personnes dès 16 ans, il faudrait donc d’abord abaisser l’âge de la majorité civile en France par une loi".
    L'article rappelle également que le système pénal actuel permet de lever l’excuse de minorité et la comparution devant une juridiction spécialisée pour les mineurs, dès 16 ans, selon la gravité des délits et des crimes. Cette mesure ne changerait donc pas grand-chose.
    Questionner la nationalité
    Les Républicains et le Rassemblement national n'hésitent pas à lier violences urbaines et immigration, et à proposer des mesures pour limiter l'accès à la nationalité. Pourtant, mardi, lors des Questions au gouvernement, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a assuré que les violences étaient le fait de Français, indiquant que "moins de 10% des interpellés était étrangers" et "90% Français".
    "Il est hors de question que le droit du sol (...) s'applique pour ceux qui auront été condamnés dans ces émeutes", a pourtant demandé Eric Ciotti (LR), appelant aussi à une "déchéance de nationalité" pour les bi-nationaux "condamnés" en marge des émeutes. Ce mercredi, Jordan Bardella (RN) a dit vouloir expulser "les émeutiers étrangers" et revoir les critères d'attribution de la nationalité française, évoquant lui aussi la suppression du droit du sol.
    Mais, revoir les conditions de déchéance de la nationalité imposerait de passer par une révision constitutionnelle, et donc de convoquer le Parlement réunit en Congrès. Aujourd'hui, la déchéance de nationalité ne peut être décidée que dans de rares cas, par exemple avoir été condamné pour un crime ou un délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme, et seulement si la personne condamnée a acquis la nationalité française par naturalisation ou déclaration de mariage. François Hollande avait souhaité étendre la déchéance de la nationalité française aux binationaux nés français, mais avait fini par renoncer face aux difficultés à trouver un consensus politique.
    Instaurer des peines plancher automatiques
    Dans un texte reprenant l'idée d'abaisser la majorité pénale à 16 ans ou de "retirer toute prestation familiale et tout droit à un logement social" aux personnes ayant la charge d'un enfant "qui aurait été reconnu coupable d'un crime et d'un délit", des sénateurs LR proposent également d'instaurer des peines planchers automatiques de prison ferme pour tous les agresseurs de policiers, élus et représentants de l’État. Cela faisait partie du programme de Valérie Pécresse à la dernière élection présidentielle, et avait été analysé par Les Surligneurs.
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    Dans l'article dédié, le collectif assurait que cela était impossible, l'automaticité d'une peine étant contraire au principe d’individualisation des peines découlant de la Constitution. "Le principe d’individualisation ne s’oppose pas (...) à l’existence d’une peine minimale (...). En revanche, il impose le respect d’une marge d’appréciation du juge", impossible avec l'automaticité, écrivait l'auteur. Là encore, cette mesure ne serait donc pas applicable.

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