La mairie de Paris suspend le versement de ses subventions à l’établissement catholique Stanislas


La mairie de Paris suspend le versement de ses subventions à l’établissement catholique Stanislas

Publié le mercredi 24 janvier 2024 à 16:39

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(Blason de la ville de Paris

Crédits photo : Manassas, Ssire, Carfois, Oliver H & Wikimandia, CC 3.0)

Auteur(s)

Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Raphaël Matta-Duvignau, maître de conférences en droit public, Université Paris-Saclay

Les subventions des collectivités territoriales envers les établissements d’enseignement privés sous contrat avec l’État sont des dépenses obligatoires. Les collectivités territoriales ne peuvent les suspendre sans que le contrat lui-même soit résilié ou non reconduit.

Faisant suite aux révélations relatives rapport public de l'Inspection générale de l’Éducation nationale sur l’établissement privé d’enseignement catholique Stanislas à Paris, la maire de Paris, Anne Hidalgo a annoncé que la ville supprimait ses subventions “à titre conservatoire, dans l’attente des clarifications requises de la part de l'État”. La mairie a précisé ensuite que serait suspendu “le paiement des prochaines échéances” à l’établissement pour l’année en cours, en attendant la lecture du rapport. Pour l’instant, il s’agit d’une annonce, et si elle devait être suivie d’effet, par une délibération du conseil de Paris ou un acte de la maire, ce serait illégal.

De quelle subvention parle-t-on ?

Selon le code de l’éducation (article L.442-5 et suivants), "les établissements d'enseignement privés du premier et du second degré peuvent demander à passer avec l'Etat un contrat d'association à l'enseignement public, s'ils répondent à un besoin scolaire reconnu". Ce contrat donne droit, pour l’établissement, à une prise en charge forfaitaire de ses dépenses de fonctionnement par les collectivités territoriales, en fonction notamment du nombre d’élèves. 

Pour le primaire (Stanislas dispense des enseignements de la maternelle à la terminale), ce sont les communes de résidence de l’élève (donc Paris et les autres communes de résidence des élèves) qui participent au financement, sous forme de “contribution” par élève scolarisé. Cette “contribution revêt le caractère d'une dépense obligatoire”, lorsque la commune de résidence ne dispose pas des capacités d'accueil nécessaires à la scolarisation de l'élève concerné dans son école publique. Si la ville de Paris est dans cette situation d’insuffisance de capacité d’accueil dans le parc d’écoles publiques, elle  doit verser cette subvention. 

Pour le collège, les dépenses de fonctionnement courant sont prises en charge de manière forfaitaire par les départements (et donc dans le cas de Paris… Paris qui est aussi un département). Cette participation prend deux formes : une contribution en fonction liée aux dépenses de personnels non enseignants. Une seconde contribution est calculée par rapport aux “dépenses de fonctionnement de matériel afférentes à l'externat des établissements de l'enseignement public”, à savoir le coût moyen d’un élève externe (article L. 442-9 du code de l’éducation) : c’est ce qu’on appelle le “forfait d’externat”). Ces contributions sont également obligatoires dès lors qu’il y a contrat d’association. 

Pour le lycée, ce sont les régions qui assument ces deux mêmes contributions, obligatoires également.

Ajoutons enfin que certains contrats d’associations portent aussi sur les classes préparatoires, ce qui implique également des subventions des collectivités territoriales.

En quoi la suspension des versements est-elle illégale ?

L’établissement Stanislas se voit privé des apports financiers de Paris, malgré l’obligation légale de verser les subventions tant que le contrat d’association n’est pas résilié. Cette résiliation ne relève aucunement d’un pouvoir discrétionnaire de la ville de Paris en l’occurrence, mais de l'État seul, à l’issue d’une procédure contradictoire. Autrement dit, supprimer les subventions revient indirectement à résilier le contrat d'association, ce qui n’est pas dans les pouvoirs de la ville.  C’est une sanction déguisée, voire un détournement de pouvoir. Le juge a eu plusieurs fois l’occasion de l’affirmer. En 2019, le président de la Région Hauts-de-France avait décidé de “bloquer le financement des investissements” du lycée privé musulman lillois Averroès, en attendant des éclaircissements sur les sources de financements étrangers de cet établissement. Il a fait passer cette décision par délibération du conseil régional. Par une décision prise en urgence (ordonnance n° 2101503 du 31 mars 2021, non publiée en ligne), le tribunal administratif de Lille a ordonné à la région de verser le forfait d’externat. Refusant de s’exécuter, le conseil régional des Hauts-de-France, suscitant une seconde ordonnance du tribunal administratif de Lille (n° 2104796 du 6 juillet 2021, non publiée en ligne), qui n’a pas eu plus d’effets sur la décision de la région, entraînant une troisième ordonnance (28 Juillet 2023 – n° 2009372, non publiée en ligne). Face à ce débiteur public récalcitrant, le lycée Averroès fera probablement jouer tous les outils que lui offrent le code de justice (injonctions de payer, astreintes) et les règles de la comptabilité publique : s’adresser au préfet qui au vu de la décision de justice pourra procéder directement au paiement sur le budget de la région (article L. 911-9 du code de justice administrative). 

Il en irait de même pour l’établissement Stanislas si la Mairie de Paris persistait. Certes, un rapport apparemment négatif a été rédigé, dont on attend la publication. Mais ce rapport ne constitue qu’une étape d’une enquête administrative soumise au principe du contradictoire entre l’État et l’établissement d’enseignement, principe qui passe notamment par l’avis d’une commission de concertation (code de l'éducation, article L. 442-10)

Il appartient au seul ministre ensuite de prendre les mesures concernant le contrat le cas échéant. Mais ce n’est pas aux collectivités territoriales de tirer les conclusions de ce rapport par un retrait de subvention. Elles ne peuvent que demander à l’État de résilier le contrat (code de l'éducation, article L. 442-10). Après, seul l’État est compétent pour donner suite, au besoin en résiliant ou en refusant la reconduction du contrat d’association. 

Les collectivités territoriales subventionnent bien des organismes à titre facultatif (notamment des associations à vocation sociale ou culturelle), et peuvent utiliser l’arme de la suppression de cette subvention pour sanctionner des comportements illégaux ou qui plus simplement ne répondent plus à un besoin local. À cet égard, la collectivité territoriale est libre. Mais dans le cas des établissements d’enseignement privé sous contrat d’association, c’est la loi qui prévoit la subvention et en fait une dépense obligatoire. 

En somme, si l’établissement Stanislas conteste cette suspension de subvention en urgence devant le tribunal administratif de Paris, il y a toutes les chances qu’il obtienne gain de cause. Bien sûr, par la suite, si le contrat d’association entre l’État et l’établissement était résilié ou non reconduit en raison du non-respect du contrat d’association ou de principes du service public de l’éducation, il en irait tout autrement. En tout état de cause, ce n’est pas à la ville de Paris de prendre les devants.

Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article

  • URL de la déclaration : https://www.lemonde.fr/politique/arti...
  • Texte de la déclaration :

    La Ville de Paris a décidé, mercredi 17 janvier, la suspension du versement des subventions à l’école Stanislas, relevant de l’enseignement privé catholique. La municipalité a ajouté, dans un communiqué, que cette décision était prise « à titre conservatoire, dans l’attente des clarifications requises de la part de l’Etat ».
    Cette décision fait suite à la publication, mardi soir par Mediapart, d’un rapport d’enquête d’une mission menée par les inspecteurs généraux, qui dénonce une « dérive » et des « prises de parole intolérables » sur l’homosexualité, ainsi que le caractère obligatoire du catéchisme dans le collège de l’établissement situé dans le 6e arrondissement de Paris, où sont scolarisés les trois fils de la ministre de l’éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra.
    L’école privée Stanislas va faire l’objet d’un « plan d’action » suivi avec « rigueur », a promis, mercredi, la ministre de l’éducation, mais la direction de l’établissement et le diocèse de Paris jugent que ce document ne valide pas les graves reproches relayés dans des médias. Le rapport « a été commandé en février 2023 et bouclé début août 2023. Et aussitôt, Gabriel Attal [alors ministre de l’éducation nationale] a demandé au rectorat et à l’inspection générale de suivre un plan d’action qui fait presque quinze mesures », a déclaré Amélie Oudéa-Castéra sur France 2. Ce plan « sera suivi avec toute la rigueur nécessaire », a-t-elle ajouté.
    « Je précise que ce rapport ne remonte aucun fait d’homophobie, ni aucun cas de harcèlement. Le seul cas d’homophobie a fait l’objet d’un signalement au procureur via la procédure de l’article 40 [du code de procédure pénale] », a dit la ministre, accusée d’avoir dénigré l’enseignement public pour justifier le transfert de son fils aîné à Stanislas.
    Dans un nouvel article publié mercredi soir, Mediapart décrit, enregistrement à l’appui, d’autres cas de propos et de comportements homophobes dans l’établissement.
    Signalement au procureur de Paris
    Le directeur de l’école Stanislas, Frédéric Gautier, s’est « étonné » de la publication de ce rapport et affirme que les inspecteurs « ne confirment pas les faits d’homophobie, de sexisme et d’autoritarisme mis en avant par les articles de presse », dans un communiqué publié mardi. « Nous prenons acte des quatorze préconisations du rapport », a-t-il cependant ajouté.
    Celles-ci « doivent faire l’objet d’un travail approfondi avec le rectorat de Paris », a-t-il précisé dans un second communiqué, mercredi. L’établissement a « en interne commencé à travailler » sur celles qui dépendent de sa « responsabilité ».
    De son côté, la direction diocésaine de l’enseignement catholique de Paris a estimé qu’« à l’exception d’un seul cas », qui « a été traité en mettant fin aux fonctions de la personne concernée », il n’a « pas été fait état de sanctions possibles dans [les] échanges avec l’administration » ni « d’irrégularité grave ». « La mission [d’inspection] nous a déclaré ne pas confirmer les accusations qui avaient motivé cette enquête », affirme la direction diocésaine.
    Les sénateurs communistes Ian Brossat (Paris) et Pierre Ouzoulias (Hauts-de-Seine) ont, pour leur part, annoncé « saisir aux côtés de SOS Homophobie la justice » au vu des conclusions du rapport. Ils affirment effectuer « un signalement au procureur de Paris au titre de l’article 40 du code de procédure pénale » et saisir « par voie d’avocat le préfet de Paris pour demander le déconventionnement du lycée ».
    La Ville de Paris a versé, au titre de l’année scolaire 2022-2023, pour les écoles maternelle et élémentaire et le collège de l’établissement Stanislas un montant de 1 373 905 euros, correspondant aux 483 élèves scolarisés en école maternelle et élémentaire, et aux 1 329 élèves au collège, dans le cadre des règles sur le financement des établissements privés sous contrat par les collectivités.
    Contactée par l’Agence France-Presse, la municipalité parisienne déclare que sera suspendu « le paiement des prochaines échéances » à l’établissement pour l’année en cours, sans entrer dans le détail. Au total, l’école accueille 3 500 élèves, de la maternelle aux classes préparatoires.
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