Le Syndicat Sud Santé commentant la fermeture des urgences au CHU de Bordeaux : c’est un “tri des patients à l’entrée”


Le Syndicat Sud Santé commentant la fermeture des urgences au CHU de Bordeaux : c’est un “tri des patients à l’entrée”

Faux, mais…

Créer un circuit d’admission aux urgences pour tous les patients adultes ne signifie pas “trier” les patients. Mais si la réorganisation destinée à pallier la pénurie devait faire des victimes pour prise de risque au détriment des patients, alors il faudrait indemniser.

Publié le vendredi 27 mai 2022 à 11:54

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Stéthoscope

(Parentingupstream (Creative Commons))

Auteur(s)

Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Créer un circuit d’admission aux urgences pour tous les patients adultes ne signifie pas “trier” les patients. Mais si la réorganisation destinée à pallier la pénurie devait faire des victimes pour prise de risque au détriment des patients, alors il faudrait indemniser.

 

Pour faire face à la pénurie de personnels soignants, les urgences du CHU de Bordeaux seront désormais fermées la nuit pour les adultes, qui ne pourront y accéder qu’en passant par le Samu Centre 15. Interrogé par 20 minutes sur cette fermeture des urgences, qui touche plusieurs établissements de santé de la région, le Syndicat Sud Santé a déploré une réorganisation qui touche une “population en détresse par manque de moyens, et dénoncé un “tri des patients adultes à l’entrée”.

Créer un circuit d’admission aux urgences n’est pas trier…

C’est faux en droit. La réorganisation des urgences telle qu’elle a été annoncée par l’Agence régionale de santé (ARS) correspond à la mise en place d’un circuit pour être admis aux urgences, qui passe par le centre 15, afin d’éviter les entrées injustifiées de personnes qui auraient dû passer par la médecine de ville (ce qui a toujours été le cas), mais aussi pour faire face à la pénurie de personnels soignants. 

Lorsqu’une ressource (comme les soins d’urgence) se fait rare, et que cette rareté n’est pas surmontable à brève échéance, il faut en réguler la consommation, tout en maintenant l’égalité : en l’occurrence, tous les adultes sont concernés par cette mesure, il n’y a pas de tri des patients comme on a pu en voir durant les pics de pandémie de Covid-19. Les enfants restent admis sans passer par le 15, parce qu’ils ne sont pas dans la même situation. Au contraire, si l’ARS n’avait pas pris cette mesure, elle serait responsable : si par exemple une personne admise aux urgences venait à décéder faute de personnels suffisants pour assurer sa prise en charge, ses proches seraient fondés à demander une indemnisation devant le tribunal administratif. Il n’y avait donc pas, à court terme, d’autre solution, mais ce raisonnement a ses limites.

… Mais cela peut faire des victimes, qu’il faudra indemniser

La continuité du service public hospitalier implique, selon la loi, “un accueil adapté… et un délai de prise en charge en rapport avec l’état” de la personne, ainsi qu’une “permanence des soins” organisée par l’ARS. Mais il n’est nulle part écrit qu’un hôpital doit fonctionner en “portes ouvertes” 24 heures sur 24. Des urgences non organisées créeraient ou aggraveraient la pagaille, au détriment des patients. Pour autant, il y a des limites à la rationalisation des soins d’urgence.

D’abord, si une personne en péril se présente aux urgences la nuit, il est hors de question pour les personnels de l’éconduire en lui demandant de passer par le 15. Ce serait une non-assistance à personne en péril (et donc un délit), et contraire à la déontologie des personnels soignants (ce qui peut valoir la radiation de l’ordre des médecins ou des infirmiers par exemple).

Ensuite, l’ARS ne peut mettre en place une réorganisation qui présenterait manifestement (c’est le terme employé par le juge) trop de risques pour la population, et serait donc contraire au droit à l’accès aux soins (ce droit dérive du droit constitutionnel à la protection de la santé). La question s’est déjà posée à propos des regroupements de maternités, qui impliquaient d’en fermer certaines : le tribunal administratif de Nîmes avait en 2009 ordonné à l’ARS de rouvrir une maternité à Valréas en raison de l’éloignement excessif (40 km) du seul établissement qui restait apte à prendre en charge les femmes sur le point d’accoucher de cette ville et de son agglomération en cas de complication. De façon plus générale, une réorganisation par regroupements d’établissements suppose toujours plus de transferts de patients (par ambulance voire par hélicoptère), et fragilise la chaîne des soins, la mettant à la merci du moindre accroc, comme cela se produisait aux Antilles : en tablant sur les transferts inter-îles par hélicoptère, l’ARS avait fermé plusieurs établissements de santé pour les regrouper, mais elle n’avait pas anticipé les cas de mauvaise visibilité aérienne, empêchant tout transfert… L’État fut condamné à indemniser la victime d’un retard de prise en charge parce que l’hélicoptère dut attendre le jour pour décoller.

Et pour finir sur ce point justement, il faut aussi raisonner en aval : une nouvelle organisation est mise en place, et la pratique montre des carences aux conséquences directes sur certains patients dont la prise en charge n’a pas été suffisamment rapide au vu de leur état. Par exemple, un adulte à Bordeaux qui a besoin de soins d’urgence la nuit, qui s’adresse au 15 au lieu d’aller directement aux urgences, peut subir un retard excessif de prise en charge. Il en résulterait un préjudice aggravé voire un décès. Dans ce cas le juge peut estimer, au cas par cas, qu’il s’est produit ce qu’il appelle une “perte de chance” de guérison ou de survie. Si c’est le cas, il condamnera l’hôpital ou l’État à indemniser.

Statistiques relatives à une ou plusieurs déclaration(s) fact-checkée(s) par cet article

  • URL de la déclaration : https://www.20minutes.fr/sante/329161...
  • Texte de la déclaration :

    Bordeaux : La nuit, les urgences du CHU Pellegrin ne seront plus accessibles que via le 15SANTE•A partir de mercredi soir, les patients devront obligatoirement contacter le Samu-Centre 15 avant de se rendre aux urgences adultes du CHU de Bordeaux
    Mickaël Bosredon
    L'essentiel
    - Un système de régulation des patients entre en vigueur à partir de mercredi soir aux urgences adultes du CHU de Bordeaux.
    - Il faudra désormais contacter le Samu-Centre 15 avant de se rendre aux urgences en soirée.
    - L’objectif est de faire face au manque de personnel dans une situation de grande tension.
    Après le « poste avancé » devant les urgences, place à la « régulation » des patients. Face à la « tension » aux urgences adultes, l’ARS (Agence Régionale de Santé) Nouvelle-Aquitaine annonce mardi dans un communiqué, que le service des urgences du CHU Pellegrin à Bordeaux va devoir « s’adapter ». Une « régulation » des patients via le Samu-Centre 15, va ainsi être mise en place « pour une période déterminée », à partir de mercredi soir.
    Pour les patients, « il sera indispensable de contacter le 15 avant tout déplacement aux urgences » adultes du CHU Pellegrin, entre 20 h et 8 h.
    Le CHU de Bordeaux explique que « dans un contexte national où les services d’urgence sont très sollicités et où recruter de nouveaux professionnels de santé s’avère particulièrement difficile, l’ARS et le CHU de Bordeaux travaillent sur des solutions pour modifier, pour plusieurs semaines, les modes d’accès aux urgences adultes afin de les réserver aux personnes qui en ont réellement besoin. L’objectif est de garantir des prises en charge sécurisées en priorisant les urgences les plus sévères. »
    « Tri des patients » selon Sud Santé
    Pour les patients qui se présenteraient sans avoir contacté le 15, « un téléphone relié au Samu sera accessible devant l’accès des urgences », précise l’ARS. « Il permet de garantir à tous les patients qui se présenteraient une réponse adaptée : un conseil médical, une prescription médicamenteuse ou biologique, une prise de rendez-vous différé, une réorientation vers un service d’urgence d’un établissement de proximité. En cas d’urgence avérée, le patient est pris en charge directement par le service des urgences. »
    Pour le syndicat Sud-CHU Bordeaux, qui dénonce cette décision, il s’agit ni plus ni moins d’un « tri des patients à l’entrée des urgences adultes de Pellegrin. » « Il manque des médecins urgentistes, des infirmiers, des soignants, énumère Gilbert Mouden infirmier anesthésiste et délégué syndical Sud Santé, si bien qu’aujourd’hui, le CHU de Bordeaux n’est plus capable d’accueillir la population en détresse. » Si l’infirmier-anesthésiste admet qu’il y a « une éducation des patients à faire concernant l’accès aux urgences, celle-ci devrait se faire en amont, pas en pleine crise ».
    « Fortes tensions liées à la fatigue des équipes en place »
    L’ARS reconnaît de son côté que « ces dernières semaines, comme partout en France, plusieurs établissements de santé néo-aquitains ont connu de fortes tensions liées à la fatigue des équipes en place après deux années de pandémie, et à la difficulté de recruter des médecins ou du personnel paramédical ». C’est dans ce cadre qu’il est aujourd’hui « nécessaire d’adapter l’organisation au sein d’un service d’urgences » pour continuer « d’assurer son fonctionnement H24 ».
    Le syndicat Sud pointe toutefois que « malheureusement notre système de régulation des appels (SAMU) est également en grande souffrance par manque de moyens humains et plus particulièrement d’ARM (Assistants de régulation médical) qui sont aujourd’hui renforcés par plus de quarante étudiants en médecine ».
    Un mouvement social pour dénoncer les conditions de travail aux urgences, devrait être organisé la semaine prochaine devant le CHU.
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