Une fois pour toutes : il n’existe pas de “service minimum” imposé aux grévistes dans les transports en commun terrestres !


Une fois pour toutes : il n’existe pas de “service minimum” imposé aux grévistes dans les transports en commun terrestres !

Publié le vendredi 25 août 2023 à 12:30

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Auteur(s)

Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

C’est par abus de langage qu’on parle de “service minimum” dans les transports. Il n’existe aucun service minimum imposé aux agents. En réalité, une loi de 2007 impose une obligation aux grévistes de se déclarer 48 heures à l’avance, ce qui permet aux opérateurs de transports (SNCF, RATP, etc.) de réagir en proposant une offre réduite plus ou moins régulière et prévisible par l’usager.

Trop de confusions dans la parole politique, dans les médias et l’esprit de nos étudiants, nous conduisent à le réaffirmer : il n’existe pas de “service minimum” dans les transports en commun terrestres !

Ne pas confondre service minimum imposé aux agents du service public…

Un service minimum imposé aux agents des services publics consisterait à restreindre leur droit de grève en les contraignant à faire fonctionner un service public selon un mode plus ou moins réduit, et cela pour assurer l’effectivité du principe de continuité des services publics. Il s’agit donc de concilier droit de grève (constitutionnel) et continuité des services publics (principe tout aussi constitutionnel), dans la mesure où certains services publics sont indispensables à la continuité de la vie nationale. 

Ainsi, certains services publics sont si essentiels qu’il n’est pas question qu’ils s’interrompent, ce qui conduit à interdire la grève à certaines catégories d’agents : police, gendarmerie, service pénitentiaires par exemple.

… et service minimum imposé à l’organisateur du service public….

Dans d’autres cas, la continuité de la vie nationale peut se satisfaire d’un service public réduit, appelé parfois “service minimum”. Ainsi, un décret de 1982 organise un “service minimum dans les organismes du service public de la radiodiffusion sonore et de la télévision en cas de cessation concertée du travail”. L’audiovisuel public doit toujours être en mesure de diffuser les “communications du Gouvernement et des messages en réplique ainsi que la programmation des émissions des campagnes électorales”, ainsi que, entre autres, “deux journaux nationaux, l’un à la mi-journée et l’autre au début de la soirée”. Ce décret, ancien et englobant TF1 dans sa version publique avant sa privatisation de 1987, n’a jamais été réactualisé et il est douteux qu’il s’applique encore pleinement. Il faut dire qu’en dehors de messages gouvernementaux liés à certaines situations d’urgence, l’audiovisuel n’occupe plus la place prépondérante qui était la sienne jusqu’à l’essor de l’internet. 

C’est le seul exemple de “service minimum” expressément prévu par la loi et organisé par un décret encore en vigueur à ce jour. Et même dans ce cas, ce service minimum est une contrainte pesant sur l’organisateur du service public, pas sur les agents. C’est bien à l’organisateur d’assurer un fonctionnement minimal du service public par des moyens non coercitifs tels que des accords collectifs comme il en existe dans les établissements sanitaires et sociaux par exemple : secteur par secteur, la direction et les représentants du personnel s’entendent à l’avance pour ne pas faire courir de risques aux usagers en cas de grève. Ces accords sont ensuite agréés par le ministre chargé de la Santé et des Affaires sociales. Il en va du droit à la protection de la santé, qui est constitutionnel. 

De la même manière, les sociétés privées gérant les autoroutes sont tenues par contrat (plus précisément le cahier des charges) d’assurer la permanence et la sécurité de la circulation, car il en va de la liberté d’aller et venir, qui est aussi constitutionnelle. Dernier exemple, les impératifs de sécurité peuvent également justifier un service minimum : dans une centrale nucléaire, le juge a reconnu que la direction pouvait déterminer les postes qui ne doivent jamais être vacants, en raison des risques encourus.

… lequel organisateur peut réquisitionner les agents

Le service minimum, lorsqu’il a été prévu par un texte ou un accord, ou en raison d’impératifs de sécurité, pourra justifier des réquisitions d’agents grévistes par l’autorité. Ces dernières consistent à obliger un agent, même gréviste, à rejoindre son poste. Nous avons déjà pu expliquer que les réquisitions sont rendues possibles par le Code de la défense pour les besoins de la défense, par le Code de la santé publique pour “procéder aux réquisitions nécessaires de tous biens et services, et notamment requérir le service de tout professionnel de santé”, par le Code de la sécurité intérieure pour assurer les secours, et surtout par le Code général des collectivités territoriales “en cas d’urgence, lorsque l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police”.

Or, on ne voit pas en quoi l’absence de transports en commun crée une “atteinte au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques”, au contraire par exemple d’une absence de personnels liés à la sécurité d’une centrale nucléaire ou au ravitaillement en carburants de transports essentiels tels que ceux des pompiers, de l’armée, de la police, les transports sanitaires, etc. La réquisition des agents des transports pour permettre aux usagers d’aller à leur travail ou en vacances aurait de fortes chances d’être déclarée illégale par le juge, comme cela a été jugé chaque fois que le préfet effectuait des réquisitions non justifiées par l’objectif de maintien de l’ordre public. 

Dans les transports terrestres de voyageurs, pas de service minimum mais une obligation déclarative

Dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, il existe un dispositif très différent, issu de la loi  21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public, adoptée sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Ce texte a été inséré depuis dans le code des transports sous un chapitre qui ne signifie pas grand-chose : “Dialogue social, prévention des conflits collectifs et exercice du droit de grève”. L’idée force était d’arriver, sans créer de service minimum dans un secteur où les agents y sont allergiques, à assurer un service réduit homogène, à l’aide des agents non-grévistes. 

Pour cela, le Code des transports, sans interdire aucunement la grève, oblige tout agent qui entend cesser le travail dans le cadre d’un mouvement collectif, à se déclarer gréviste au moins 48 heures à l’avance. Le mécanisme est schématiquement le suivant. Les syndicats annoncent une grève avec cinq jours de préavis, après avoir tenté des négociations sur une question en litige. 

Ensuite, poursuit le Code, les salariés “informent, au plus tard quarante-huit heures avant de participer à la grève (…), de leur intention d’y participer”. Fort de cette information, l’organisateur du service public (SNCF, RATP, etc.), tente, avec le personnel non-gréviste, de répartir au mieux les services pour assurer une desserte réduite mais homogène en transports partout où cela apparaît nécessaire. Il doit aussitôt informer les usagers des dessertes maintenues, ligne par ligne. Une fois venu le jour de grève, le service public fonctionnera en mode dégradé, mais l’avantage pour l’usager est énorme : informé dès la veille de l’état du trafic sur sa ligne, et même le matin à l’aide d’une application, il en finit avec les jeux de hasard du matin, consistant à se rendre en gare pour découvrir qu’il n’a plus qu’à rentrer chez lui, où à arriver au travail sans savoir s’il faudra rentrer à pied ou dormir à l’hôtel le soir-même…

L’agent qui se met en grève sans se déclarer encourt une sanction

Pour assurer l’effectivité du dispositif, encore fallait-il que les déclarations faites par les agents fussent fiables. C’est pourquoi “est passible d’une sanction disciplinaire le salarié qui n’a pas informé son employeur de son intention de participer à la grève”  selon le Code des transports. De même, l’agent qui s’est déclaré en grève 48 heures avant, puis renonce à faire grève, “en informe son employeur au plus tard vingt-quatre heures avant l’heure prévue de sa participation à la grève afin que ce dernier puisse l’affecter dans le cadre du plan de transport”. De cette manière, la loi fige le nombre de grévistes, ce qui permet d’organiser le trafic avec une certaine prévisibilité au moment où la grève commence. 

Ce dispositif est relativement efficace pour maintenir un service public réduit mais bien réparti sur tout le réseau, à condition que la grève ne soit pas massive : basé sur une répartition de la pénurie d’agents en poste, le système devient inefficace lorsque la pénurie est telle qu’il n’y a plus rien à répartir. La loi de 2007 a ainsi considérablement réduit les déboires des usagers des transports, et cet effet a été démultiplié par le télétravail, ce qui a aussi pour effet de réduire l’impact des grèves et donc l’influence de ces mouvements dans ce secteur. En 2012, un dispositif similaire a été introduit dans les entreprises de transport aérien de passagers. 

Le service minimum dans les transports, arme atomique ?

On le voit, aucun service minimum n’est imposé aux agents des transports. Et d’ailleurs, est-ce possible ? 

Le débat actuel sur l’interdiction de grève les jours de départ en vacances le montre bien : on ne peut pas amputer un droit de grève constitutionnel sans un intérêt général impérieux. Les départs en vacances ne semblent pas relever d’une telle nécessité. Surtout, une loi contraignant les agents à un service minimum aurait le même effet qu’une bombe atomique : celui qui la déclenche saute avec. D’une part, on imagine que les transports seront entièrement bloqués au stade même du projet de loi et tout le temps de discussion au Parlement, soit plusieurs semaines : c’est la grève préventive…comme pour les retraites. D’autre part, que faire si le service minimum, même voté par le législateur, n’est pas respecté par les grévistes ? Dans une centrale nucléaire, il suffit de réquisitionner une dizaine d’agents, d’autant que la sécurité est en jeu. Mais à la RATP ou la SNCF ?